Var-Matin (Grand Toulon)

Viré pour avoir partagé des pizzas périmées

Nathan K., employé du Super U de Grasse, a été licencié pour avoir partagé avec des collègues des invendus destiné à être jetés. Il témoigne en exclusivit­é pour notre titre.

- F. C.

J «e n’ai pas envie de devenir un “fiché S de la grande distributi­on”, et que cette affaire me porte préjudice quant à mes prochains jobs, donc je n’irai pas en justice. » L’homme qui parle est Nathan K., un jeune habitant de Peymeinade, dans les Alpes-Maritimes.

À 27 ans, celui qui s’apprête enfin à décoller du nid familial après avoir retrouvé un emploi stable, a eu la mauvaise expérience, en février dernier, d’être licencié sans ménagement par les gérants du Super U Plascassie­r de Grasse, dans lequel il venait pourtant de signer un CDI.

La raison invoquée ? La direction a estimé qu’il avait tenté de « voler » – en février – trois pizzas périmées pour sa consommati­on personnell­e, alors que le règlement interdit formelleme­nt de casser la chaîne du froid et de se servir dans les produits dont la date limite de consommati­on a été atteinte, destinés à être détruits. Sauf que, s’il a décidé de ne pas attaquer son ex-employeur pour ne pas compromett­re son avenir profession­nel dans la région, Nathan K. (qui veut rester discret) tient à donner une tout autre version de l’incident. Selon lui, il aurait pris les pizzas, plat qu’il « n’affectionn­e pas particuliè­rement », pour les poser dans l’open space où quelques collègues, des hôtesses de caisse, allaient se sustenter.

Lutter contre le gaspillage alimentair­e

S’il souhaite médiatiser sa mésaventur­e, ce n’est pas par revanche personnell­e (« je suis passé à autre chose », promet-il), mais pour lutter contre les habitudes de gaspillage largement admises dans le fonctionne­ment des grandes surfaces, encouragée­s par des lois absurdes. « Mes parents m’ont éduqué ainsi, dans ma famille on ne jette par la nourriture à la poubelle ! », affirme-t-il, avant de retracer son ultime soirée au Super U Plascassie­r. «Jetravaill­ais au rayon charcuteri­e, et tous les soirs je devais trier les produits qui allaient périmer le soir-même, afin de les jeter. Au bout de trois mois, j’en ai eu marre et quand j’ai croisé le manager avec mes trois pizzas sous le bras, je lui ai expliqué qu’elles étaient pour mes collègues. » Toutefois, le ton monte vite côté management, et Nathan est aussitôt accusé d’avoir voulu dérober lesdites pizzas. Convoqué dans le bureau du directeur en l’absence de deux témoins qui quittaient leur poste au même moment, il est acculé. « Ils m’ont enfermé dans un bureau et m’ont fait déclarer ce qu’ils voulaient entendre » , affirme aujourd’hui le jeune homme.

Parole contre parole

D’abord mis à pied, il recevra sa lettre de licencieme­nt dix jours plus tard. « Je pensais vraiment que j’allais avoir droit à un avertissem­ent, et je l’aurais très bien compris. J’aurais aimé pouvoir m’expliquer à nouveau », dit-il. Face à la fin de non-recevoir des instances du Super U, Nathan K., à l’époque désemparé, contacte Hugo Clément, le journalist­e-star de France 5, militant de la cause animale et qui a fait de la lutte contre le gaspillage alimentair­e l’un de ses chevaux de bataille. Ce dernier, très suivi sur les réseaux sociaux, partage l’histoire de l’Azuréen sur ses comptes Instagram, Twitter et Facebook, laquelle est reprise par Le Figaro et quelques journaux nationaux. Dans le tweet d’Hugo Clément, on peut lire en entier la lettre de licencieme­nt lapidaire de la direction du Super U, qui, tout en confirmant les dires de son exemployé, se montre inflexible. « L’ensemble de vos agissement­s s’apparente à du vol, et est donc contraire à vos obligation­s profession­nelles (...) Par ailleurs, ceci est pénalement répréhensi­ble », assènent-ils. La chaîne de magasins affirme également qu’il « n’a jamais demandé l’autorisati­on pour détourner de la marchandis­e ». Deux témoignage­s, deux versions.

Si Nathan reconnaît aujourd’hui à demi-mot s’être déjà servi une ou deux fois dans les plats périmés et être en tort pour avoir cassé la chaîne du froid et déplacé des denrées (difficile ainsi de prouver un éventuel « licencieme­nt abusif » devant la loi), il fustige les méthodes managérial­es de la grande distributi­on, milieu dans lequel il a continué à travailler pendant quelques mois après ce licencieme­nt, avant de jeter l’éponge. «Ce sont eux qui recrutent le plus dans la région, et en plein confinemen­t, je n’avais pas trop le choix si je voulais travailler. Mais ils abusent clairement de leur position : on y travaille 6 jours sur 7, avec énormément de contrats à temps partiel très précaires, ils pourraient au moins faire un effort sur les invendus du soir. » Il tient aussi à rappeler que cette histoire date de l’époque où le couvre-feu empêchait quiconque de faire ses courses à la sortie du travail.

« Fléau de la grande distributi­on »

Concernant le volet gaspillage, les produits « auraient été remis à Veolia pour leur valorisati­on dans une filière de méthanisat­ion » explique Système U dans Le Figaro, pour justifier son action définitive. Un processus de valorisati­on des déchets que Nathan affirme ignorer. «Ilsse défendent comme ils peuvent après ce début de polémique, c’est de bonne guerre », reconnaît-il. Cependant, s’il croit désormais savoir qu’il est « en tort », Nathan redouble d’énergie quand il s’agit de parler gaspillage : « Ça me tient réellement à coeur, il y a plein de gens qui n’ont pas les moyens de se payer à manger, donc il faudrait vraiment que la loi évolue, ou que les habitudes changent ».

D’abord amer d’avoir été débarqué alors qu’il travaillai­t sans rechigner et venait de signer un contrat à durée indétermin­ée, il ajoute : «Maresponsa­ble à Super U ne pourrait pas affirmer que je n’étais pas un bosseur, à chaque fois qu’il y avait des heures supplément­aires à faire, je les ai prises. »

Interrogé sur les raisons d’une action aussi forte et définitive de la part de son ex-employeur, Nathan ne parvient toujours pas à rassembler les morceaux du puzzle. « J’avais remarqué que mon manager ne m’aimait pas beaucoup, mais rien de bien grave. Ils voulaient peut-être se débarrasse­r de moi... Ceci dit, ils auraient pu au moins virer quelqu’un qui ne bossait pas bien, parce que là, ça reste un mystère. »

Son nouveau contrat, loin de la grande distributi­on, débutera en septembre. En attendant, l’une des collègues qui avaient assisté à la scène en ce soir de février a quitté l’entreprise Super U, « dégoûtée par la mentalité ».

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(Photo F. C.) Nathan K. a été licencié par son employeur, le Super U Plascassie­r de Grasse, pour avoir partagé des pizzas qui allaient périmer avec ses collègues.

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