Var-Matin (Grand Toulon)

Les barbares

- LIONEL PAOLI Reporter politique edito@nicematin.fr

Une polémique. Une de plus. En déclarant prendre « du plaisir dans l’acte de chasse », au micro de RMC, Willy Schraen a soulevé un tollé. Le président de la Fédération nationale des chasseurs a aggravé son cas en ajoutant que le plaisir de tuer « faisait partie » de cette passion. Et en précisant, hilare, qu’il n’en avait « rien à foutre de réguler ». Qu’avait-il osé dire ! Les réseaux soucieux se sont déchaînés, pointant « l’aveu infâme », fustigeant le « viandard » qui « tombe le masque ». Mais alors, mais alors… Ces gens-là ne seraient pas seulement des amoureux de la nature et des balades en forêt ? S’ils se promènent avec cette longue tige de métal entre les pognes, l’oeil aux aguets, ce serait parce qu’ils espèrent zigouiller un lièvre vagissant ou une grive musicienne ? Qu’ils y prennent « plaisir » ?

On a connu révélation­s plus fracassant­es. S’il est légitime de s’indigner de ces pratiques « barbares d’un autreâge» , il l’est tout autant de constater que cette « ignominie » ne heurtait personne il y a quatre ou cinq décennies. L’émotion suscitée par ces propos dit quelque chose de l’évolution de notre société, de l’exacerbati­on de nos sensibilit­és, et du décalage croissant entre les génération­s. Il suffit désormais d’une poignée d’années pour que la normalité d’un temps devienne un scandale intolérabl­e. Au mitan des sixties, Brigitte Bardot portait des manteaux en fourrure et Paul McCartney, apôtre du véganisme, croquait des sandwiches au jambon avec ses amis scarabées. Il y a seulement quinze ans, visiter un zoo était une sortie familiale. Le spectacle des orques, coincées dans leur bassin à Marineland, faisait sourire les bambins. Et c’est ainsi dans tous les domaines. Un pâtissier pouvait mettre en rayon des « têtes de nègre » sans être soupçonné de racisme. La Cage aux folles, immense succès populaire, ne suscitait aucune gêne. Les Rolling Stones chantaient Brown Sugar sans être cloués au pilori. Loin de nous l’idée de prétendre que « c’était mieux avant ». Les moeurs évoluent et il est bon, sans doute, de passer nos certitudes au tamis de la modernité.

Mais les plus jeunes doivent comprendre que les vérités d’aujourd’hui ne sont pas celles d’hier… et ne seront probableme­nt pas celles de demain. Leurs propres enfants leur reprochero­nt peut-être d’avoir toléré, sous leurs fenêtres, que des êtres humains grelottent sur le bitume. Dans la « cavalcade » des âges, nous sommes toujours les barbares de quelqu’un.

« Il suffit désormais d’une poignée d’années pour que la normalité d’un temps devienne un scandale intolérabl­e »

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