Var-Matin (Grand Toulon)

Un moment d’abattement

- Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

Waterloo ! Waterloo ! Waterloo ! morne plaine ! Pas besoin de parodier Victor Hugo pour prendre un coup au moral au moment où sort Voyage, le dernier album du groupe Abba, devenu en une semaine numéro un des ventes en France. Trente-neuf ans après le précédent, et près d’un demi-siècle après leur victoire à l’Eurovision, avec un tube qui a propulsé les Suédois sur les chemins de la gloire discograph­ique. Ce moment d’abattement frappe le public qui a connu Abba dans leurs années de succès, de disco et de costumes satinés, entre 1974 et 1982. Et même ceux qui, dix ans plus tard, ont acheté, chez leur disquaire préféré, leur cassette compilant leurs plus grands hits. La qualité des nouveaux titres, inégale si l’on en croit les critiques, n’a rien à voir dans l’affaire.

Ce sont surtout certaines images qui peuvent heurter la sensibilit­é des plus… vieux.

Les microsillo­ns s’inscrivent désormais sur la peau de ces ex-quatre filles et garçons dans le vent d’une époque, jeunes, beaux, amoureux, à qui la vie et les fans souriaient. Les photos et vidéos d’aujourd’hui nous ramènent à la triste réalité d’une existence qui file aussi vite qu’une ritournell­e de 3 minutes gravée sur un vinyle. Un peu comme une rencontre avec un(e) camarade de lycée perdu(e) de vue depuis longtemps qu’on peine à reconnaîtr­e. Et réciproque­ment.

Les deux garçons en arrière-plan, la blonde et la brune sur le devant de la scène, symbolisai­ent également cette société des années 70 en plein bouillonne­ment. Gimme ! Gimme ! Gimme ! (A Man After Midnight), lançaient Agnetha et Anni-Frid bien avant que l’appli Adopte un mec n’ait été inventée. Les couples se sont disloqués, la veine créatrice s’est étiolée, le groupe s’est séparé : Abba est entré dans un très long hiver scandinave. Même si la machine à cash ne s’est jamais mise en sommeil. À grand renfort de best of , de « tributes»–ces groupes qui ont repris leur répertoire – mais également avec la comédie musicale Mamma Mia !, transposée ensuite au cinéma. Les quatre retraités ont toujours refusé les ponts d’or que leur proposaien­t des producteur­s pour remonter sur scène.

Mais ce n’est plus le cas. Ils vont repartir en tournée… sans bouger de leur fauteuil Ikea. A leur place, des hologramme­s. Les quatre septuagéna­ires interpréte­ront leurs chansons d’hier et d’aujourd’hui avec leur voix et leur jeu de scène du moment, mais avec leur apparence physique de 1979. Ils ont enregistré le spectacle le corps bardé de capteurs comme s’ils effectuaie­nt un check-up dans un hôpital de Stockholm.

Terminé l’abattement. Abba, plongé dans la fontaine de jouvence du numérique, réinvente la jeunesse éternelle.

Les fans se sont rués sur les places des concerts organisés au printemps prochain dans un théâtre de Londres. Ils ont hâte d’embarquer dans cette machine à remonter le temps à la poursuite, avec leurs idoles, de leurs jeunes années. Mark Zuckerberg les attend également à bras ouverts dans son futur métavers, ce monde parallèle dans lequel, grâce à des casques de réalité virtuelle, évolueront nos avatars. Mamma mia !

« Abba, plongé dans la fontaine de jouvence du numérique, réinvente la jeunesse éternelle. »

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