Var-Matin (Grand Toulon)

Implants PIP : « Au tribunal, nous n’avons jamais douté »

C’était une décision de justice inédite. Elle fut contestée, voire moquée, avant de s’imposer. Au tribunal de commerce de Toulon, ceux qui ont été qualifiés de « petits juges » ont fait date.

- PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA BONNIN

‘‘ Le sérieux de notre travail a été reconnu”

C’est une discrète date d’anniversai­re. Il y a huit ans, le 14 novembre 2013, résonnait la toute première décision de justice dans le dossier PIP. Celle qui reconnaiss­ait la responsabi­lité du certificat­eur allemand TÜV. Elle fut signée du juge consulaire Rodolphe Sonegou. Une décision en forme de coup de tonnerre. PIP est le nom des implants mammaires frauduleux, remplis d’un gel non-homologué, qui ont été fabriqués par centaines de milliers, pendant une décennie à La Seynesur-Mer. L’entreprise varoise fondée par Jean-Claude Mas a prospéré à l’internatio­nal, avant que ses pratiques scandaleus­es ne soient mises au jour. Parmi les victimes de cette immense tromperie jugée en correction­nelle, certaines ont ouvert à Toulon une autre voie procédural­e. Civile. Rodolphe Sonegou était le président de cette chambre du tribunal de commerce de Toulon, qui rassemblai­t quatre autres juges consulaire­s – tous sont des chefs d’entreprise. Huit ans après, et désormais retraité, Rodolphe Sonegou a accepté de replonger dans le dossier.

Quand le nom de l’entreprise seynoise PIP est apparu au tribunal de commerce, aviezvous une idée de l’affaire ?

Ce dossier m’est arrivé via la procédure ouverte par la société Allianz, qui demandait l’annulation du contrat d’assurance souscrit par PIP. Je suis assureur de métier, voilà pourquoi j’en ai hérité. Puis, cela a pris une tout autre tournure…

Nous sommes en 2010-2011, le scandale PIP est alors énorme.

Cela s’est avéré être le dossier sériel le plus important mis sur le bureau d’une juridictio­n en France. Au début, je ne soupçonnai­s pas que les femmes porteuses d’implants PIP pouvaient réclamer une indemnisat­ion devant le tribunal de commerce.

C’est là qu’est apparue l’énormité du dossier – vu le nombre des demandes et le travail à assumer.

De quelle façon la responsabi­lité du certificat­eur TÜV a-t-elle émergé ?

En premier, ce sont les distribute­urs étrangers de PIP, et leur avocat Me Olivier Aumaître, qui ont mis en cause la responsabi­lité de TÜV. En matière de responsabi­lité civile, les notions de vigilance et de diligence sont essentiell­es, pour estimer si une faute a été commise. La défense de TÜV, incarnée avec un certain brio par Me Cécile Derycke – elle est hélas décédée – a contesté tous les éléments du dossier.

Vous-même avez été contesté, personnell­ement.

TÜV a voulu me récuser, en ma qualité de président de la formation, après le jugement de 2013, pour que je ne puisse juger le dossier à l’avenir. Ce premier jugement mentionnai­t que TÜV se conduisait auprès de PIP, « en situation de rente ». Nous voulions dire que le sérieux des contrôles à PIP s’était émoussé. J’ai vécu ce reproche avec beaucoup d’amertume. Je me suis opposé à la récusation, la cour de cassation a tranché et m’a conforté. Cela a permis la suite des procédures, de type action collective.

Des éléments du dossier vous ont-ils marqué ?

Quand on a la charge officielle de contrôler un fabricant, quand on est investi par les pouvoirs publics européens, on n’annonce pas sa venue à l’avance. Incontesta­blement, c’est l’absence de contrôle inopiné qui a guidé notre jugement.

Vous n’avez jamais douté ?

Notre formation n’a jamais douté. TÜV s’est défendu, en soutenant que les vérificati­ons attendues étaient essentiell­ement documentai­res, sur le papier. Mais cela aurait vidé de sa substance la réglementa­tion européenne. Autre exemple : l’absence de contrôle des matières premières montre des défaillanc­es manifestes. Pendant toute une année, aucun gel médical Nusil n’a été acheté par PIP, alors que des milliers de prothèses étaient produites. D’autant plus que le gel se périme au bout de six mois !

Au final, la décision de Toulon n’a pas été déjugée.

Malheureus­ement, il y a eu le premier arrêt de la cour d’appel d’Aix qui nous donnait tort (2015), arrêt sur lequel je suis toujours interrogat­if. Mais les plus hautes juridictio­ns françaises ont conforté la compétence et le sérieux de notre travail.

Certains ont voulu vous disqualifi­er, en disant que vous étiez de « petits juges ».

Évidemment, les juges consulaire­s n’ont pas passé des années à l’école nationale de la magistratu­re, mais avec de l’expérience profession­nelle et de la bonne volonté, on peut arriver à des résultats honorables.

Vous êtes aussi les premiers à avoir octroyé une indemnisat­ion aux femmes, avec une provision payable sur-le-champ (3 000 €).

Pour nous, le risque était que ces patientes soient découragée­s de poursuivre leur action. C’était aussi un gage de reconnaiss­ance de leur statut de victime.

TÜV a rétorqué qu’on la visait justement parce qu’elle était la seule solvable.

Avoir de l’argent est détachable de la notion de responsabi­lité. L’un n’est pas l’autre. Je note aussi que les contrats d’assurance souscrits par TÜV n’ont pas été versés au débat, alors qu’ils avaient été demandés.

Auriez-vous un souhait à formuler aujourd’hui ?

La responsabi­lité de TÜV a été plus que validée, par la cour de cassation (en 2018) et par deux cours d’appel (en 2021). Mon souhait est que les patientes perçoivent la juste indemnité qui leur est due, du fait de leur état de santé et de leur anxiété pour leur santé future.

Il y a déjà eu tant d’incidents de procédure. Les faire attendre plus longtemps ne relèverait pas d’une bonne administra­tion de la justice.

‘‘ Le dossier sériel le plus important de France”

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(Photo Frank Muller)

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