Var-Matin (Grand Toulon)

Le procureur qui n’aime pas « la justice du far-west »

Après cinq ans à la tête du parquet de Toulon, Bernard Marchal prend sa retraite et tire le bilan de ses années varoises. Toujours plus mise sous pression, la justice a traversé plusieurs crises.

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Il est arrivé dans le Var fin 2016, alors que la violence liée aux trafics de stupéfiant­s montait en gravité dans les quartiers de la métropole. À bientôt 67 ans, le procureur de la République de Toulon quitte ses fonctions pour prendre sa retraite. Bernard Marchal a connu des mois de tempête, dont celle de la Covid qui a chamboulé l’organisati­on du tribunal. Mais ce ne fut pas la seule crise.

« Votre expérience du parquet est assez remarquabl­e » ,alouélepro­cureur adjoint Dominique Mirkovic, qui assure l’intérim, en attendant la publicatio­n du nom d’un successeur. « Parmi les événements extra-ordinaires, la crise des Gilets jaunes a été l’occasion de montrer votre attachemen­t au travail des forces de l’ordre. »

C’est « un procureur que les policiers regrettero­nt », lâche, en aparté, un invité au pot de départ. Bernard Marchal prend la parole : « L’exercice [du magistrat] est difficile, quand la justice est prise à partie ». Il évoque «un cas particulie­r», dans lequel il s’est positionné

« contre l’opinion publique ».

Allusion à peine voilée au policier toulonnais dont les interpella­tions brutales avaient été filmées et diffusées sur Internet, provoquant une gigantesqu­e polémique. Le procureur martèle son aversion pour « la justice du far-west »,

comprendre l’opprobre public :

« Ça, je n’en veux pas ».

Cité judiciaire

La présidente du tribunal judiciaire a salué l’implicatio­n de Bernard Marchal dans le projet de cité judiciaire de Toulon (annoncée pour 2025-2026). « Les négociatio­ns sont parfois difficiles avec les Parisiens », a admis Sylvie Mottes, faisant référence à « un courrier assez ferme, que nous avons tous signé, mais c’est bien vous qui l’aviez écrit ».

« À un moment, il faut savoir s’indigner », a assumé le procureur, rappelant que cette restructur­ation est attendue « depuis quarante ans ». Ici, tout le monde connaît la vétusté des lieux, la peinture décatie, les bureaux surchargés, les marches d’escalier croulantes.

Amateur de chasse, mais aussi de tir, autant que de musique classique à l’opéra de Toulon, le procureur va regagner « la ligne bleue des Vosges » et sa Lorraine natale. Où en est le parquet de Toulon ? Nous avons posé la question à Bernard Marchal, qui « a tenu la barre » pendant cinq ans.

Comment le tribunal fait-il face aux retards considérab­les pris à cause de la crise sanitaire ? Après la grève des avocats début 2020, le confinemen­t a bloqué l’essentiel de l’activité pénale. Le nombre de jugements pénaux rendus en un an est tombé de 2 900 à moins de 2 000, ce qui représente un tiers d’affaires en moins. Pour apurer un tel retard, certaines infraction­s ont été réorientée­s vers des procédures alternativ­es – ordonnance­s et compositio­ns pénales, plaider coupable. Il est resté un stock de 350 dossiers. En accord avec la présidente du tribunal, une vingtaine d’audiences ont été créées, de septembre à décembre 2021, pour apurer ce stock.

Dans ce contexte, comment gérer les dossiers qui ne peuvent pas attendre ?

Nous avons les comparutio­ns immédiates, trois audiences par semaine. Ce sont des procédures rapides qui crédibilis­ent la réponse pénale.

Cette année leur nombre dépassera les 700 jugements. Ensuite, il y a les convocatio­ns par le procureur, dans un délai inférieur à six mois, assorti de mesures de sûreté.

Cela concerne quand même plus d’un tiers des dossiers, dont une large part des violences intra-familiales. On est sur une réponse qui reste crédible.

On a vu récemment en audience des dossiers être renvoyés en octobre 2022. Dans onze mois ! Vous avez raison de le souligner, dans les affaires techniques, qui nécessiten­t un long temps d’audience, les renvois sont très longs.

Je précise que le renvoi ne vient pas du parquet, on le subit. Il est vrai que si l’avocat ne prévient pas à temps, des heures d’audience sont perdues.

Le parquet de Toulon a souvent manqué de procureurs. Les effectifs sont-ils au complet ? Depuis deux ans, nous sommes au complet, alors que certaines années, des postes restaient vacants. Quatre postes de juristes assistants ont été créés à temps plein, qui épaulent les magistrats, avec trois assistants de justice. À l’heure actuelle, le parquet est en mesure de faire face à la délinquanc­e.

Réorienter des dossiers, pour apurer le stock”

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(Photo Laurent Martinat) Bernard Marchal, au palais de justice de Toulon, mercredi dernier.

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