Var-Matin (Grand Toulon)

Vendredi noir

- d’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

En novembre, le « black friday » envahit nos écrans et nous pilonne à coups de rabais.

Il fait chauffer nos cartes bancaires au moment où les températur­es baissent. Il nous donne l’illusion du bonheur à grands coups d’achats d’impulsion alors que les jours raccourcis­sent et que les déprimes hivernales menacent avec le retour du virus. L’opération, d’abord limitée à une journée, prend désormais ses aises.

Rien n’est trop beau pour honorer le veau d’or de la consommati­on après de longs mois de vaches maigres plombés par la Covid. L’activité repart en flèche, les carnets de commandes se remplissen­t, le chômage reflue. Comment ne pas se réjouir d’une opération qui contribue à relancer l’économie ?

Nous avons été nombreux à succomber au « vendredi noir » avec la satisfacti­on d’avoir réalisé une bonne affaire et d’avoir apporté notre obole à une société dans laquelle il n’y a point de salut sans croissance.

Et tant pis si, il y a quelques jours à peine, le président de la Cop26 a versé des larmes en prononçant son discours de clôture, après avoir tiré en vain la sonnette d’alarme. La planète est toujours dans de beaux draps. Dernier exemple en date au Chili où des milliers de tonnes de vêtements usagés s’entassent dans des décharges sauvages en plein désert, les produits chimiques qu’ils contiennen­t menaçant de polluer l’air et les nappes phréatique­s. Les entreprise­s locales, spécialisé­es dans les vêtements de seconde main, n’arrivent plus à traiter le flux.

La production mondiale de vêtements a doublé en moins de 20 ans. La fast-fashion, avec ses habits bon marché et de qualité médiocre fabriqués en Asie, nous soumet toujours à sa loi d’airain. En attendant qu’un monde nouveau arrive après la pandémie, comme certains l’avaient imprudemme­nt imaginé, l’Oncle Sam continue d’imposer son modèle. Trois semaines après Halloween, qui a jeté la Toussaint aux oubliettes, c’est donc le « black friday » qui débarque même s’il lui aura fallu plus de cinquante ans pour conquérir la vieille Europe. Il n’y a guère que le Thanksgivi­ng qui n’ait pas encore traversé l’Atlantique. Sans doute parce que la tradition plonge profondéme­nt dans les racines des Etats-Unis d’Amérique. Une aubaine pour les dindes. Les vaches et les poulets n’ont pas eu la même chance, mis en coupe réglée dans les fast-foods qui, depuis longtemps déjà, ont posé leurs récipients en carton et leurs papiers gras au coeur de nos villes et aux abords des centres commerciau­x. Le « black friday » n’est pas près de broyer du noir. Et toute ressemblan­ce avec le « jeudi noir » d’octobre 1929 serait purement fortuite. Premier jour du krach boursier qui entraîna Wall Street dans le gouffre et l’Amérique ainsi qu’une partie du monde dans la misère.

« Comment ne pas se réjouir d’une opération qui contribue à relancer l’économie ? »

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