Une menace étudiée depuis trente ans Ce chercheur veut dévier… un astéroïde
La sonde Dart, menée par la Nasa et l’Esa, a pris son envol dans la nuit de mardi à mercredi. Sa mission : percuter un astéroïde pour le dévier de sa trajectoire. Un test grandeur nature au cas où la Terre serait menacée.
En fin de semaine dernière, le Tropézien Patrick Michel a quitté la Côte d’Azur et son laboratoire de recherche planétaire à l’Observatoire de Nice. Direction la Californie. Plus précisément la base militaire de Vandenberg. C’est là que la Nasa a installé le pas de tir de la mission Dart. Derrière cet acronyme se cache un programme spatial dont le scénario ressemble à un film de sciencefiction.
Dart – pour « Double Asteroid Redirection Test », ou « test de déviation d’un astéroïde double » –, dont le décollage a eu lieu dans la nuit du 23 au 24 novembre, doit aller percuter un astéroïde afin de dévier sa trajectoire. Ce carambolage stellaire s’inscrit dans le cadre d’un vaste programme de défense spatial auquel collaborent les agences américaine et européenne. Patrick Michel en est justement le coordinateur scientifique pour notre bon vieux continent. Ce chercheur de l’Observatoire de Nice explique sans détour l’enjeu de ce crash test en apesanteur : « Établir un plan d’action pour ne pas être obligé d’improviser si un tel objet venait à menacer la Terre. »
Le pousser « comme une boule de billard »
Le scientifique, qui fait partie du comité de pilotage du réseau d’alerte astéroïdes placé sous la tutelle de l’ONU, se veut rassurant : « Il n’y a aucune menace immédiate ! » La trajectoire de l’astéroïde Didymos, sélectionné pour ce premier test grandeur nature de déviation, ne croise d’ailleurs pas la Terre.
S’il a été choisi pour cette expérience inédite, c’est avant tout parce que Didymos a la particularité de posséder une toute petite lune de 160 mètres de diamètre. « La hauteur des pyramides en Égypte », indique Patrick Michel. C’est elle que Dart, une sonde spatiale de 600 kg lancée à plus de 20 000 km/h va, pour ainsi dire, tenter de pousser. « Comme une queue de billard qui vient taper une boule », explique le scientifique. Le rendez-vous aura lieu en septembre 2022. Si tout se passe comme prévu. Quatre ans plus tard, un autre engin spatial, baptisé Hera – européen, celui-là –, viendra établir le constat de cette collision programmée. Vérifier si l’impact a permis de dévier la petite lune de Didymos. Étudier aussi le cratère généré à la surface de l’astéroïde. En la matière, les scientifiques s’attendent à des surprises. « Les expériences de fragmentation que nous avons pu réaliser jusque-là en laboratoire au Japon, sur de toutes petites cibles d’à peine quelques centimètres, ont provoqué des cratères beaucoup plus grands que prévu », révèle Patrick Michel. « Et la sonde Hayabusa qui pensait atterrir sur un sol rocheux s’y est enfoncée comme dans du beurre ! » Les effets, sans doute, de la quasi-absence de pesanteur…
En réalité, bien des interrogations restent en suspens. À commencer par celle qui préoccupe le plus nos petits ego de Terriens : quelle est l’ampleur de cette menace venue d’ailleurs ? Cette question, les grandes puissances de ce monde se la posent en fait depuis les années 90. C’est à cette époque que les Américains ont commencé à élaborer un programme de défense spatiale. « Ils ont commencé à recenser tous les géocroiseurs [objets stellaires évoluant à proximité de la Terre, Ndlr] de grande taille, c’est-à-dire de plus d’un kilomètre de diamètres », explique Patrick Michel.
Les Européens n’étaient pas en reste. Dans les années 2000, l’Agence spatiale européenne, l’ESA, avait même imaginé, de son côté, un programme spatial assez similaire à celui qui a pris son envol depuis la base de Vandenberg ce 23 novembre. « Mais faute de moyens, il est finalement resté dans les cartons », constate le scientifique… Du moins jusqu’à ce qu’Apophis ne pointe le bout de son nez. « C’était en 2004, un 24 décembre qui plus est. Les premières modélisations que nous avons réalisées donnaient une probabilité très élevée de collision avec la Terre en 2029 (1). Je me souviens de la discussion que nous avions eue alors avec mes collègues qui avaient participé aux calculs », raconte le chercheur de l’Observatoire de la Côte d’Azur. « On s’était dit: “Mais qui on prévient dans un cas pareil ?” En plaisantant, un de mes collègues américains avait dit : “Hors de question que j’appelle Bush après ce qu’il a fait en Irak, il va tout faire exploser !” » Le fait est qu’aucun protocole d’alerte n’existait. Aucune solution non plus. De quoi affoler un ancien astronaute d’Apollo 8. Avec plusieurs de ses collègues, il a remis un rapport au Congrès américain qui, depuis, finance la traque aux astéroïdes. Et pour la première fois, la Nasa s’apprête donc à dévier l’un d’eux. Pour ne pas être pris au dépourvu si, un jour, un de ces gros cailloux venait à entrer dans notre système solaire comme dans un jeu de quilles.
Tous les dix mille à quinze mille ans
Ce n’est pas pour demain. Aucun ne devrait s’abattre sur nos têtes au cours du siècle à venir. Mais leur inventaire est loin d’être achevé. « Les très gros géocroiseurs capables de provoquer l’extinction de l’humanité entière ont été identifiés à plus de 90 %. Sur les quelque 20 000 astéroïdes de plus de 140 mètres de diamètre qui, eux, suffiraient à anéantir un pays, on estime qu’il nous en manque encore à peu près 40 %. Or il en tombe un sur Terre tous les dix à quinze mille ans. Certes, cela peut arriver demain, mais les probabilités sont donc plutôt faibles. En revanche, les conséquences seraient énormes. Ce serait l’équivalent de plusieurs centaines de bombes atomiques qui s’abattraient sur nous. Or, puisque c’est un risque dont on peut se prémunir à coût raisonnable, autant le faire », avance avec sagesse Patrick Michel. « Car ce qui est sûr, c’est qu’une de nos générations futures y sera confrontée. Autant leur laisser un plan d’action. Il en va de notre responsabilité, tout comme en matière environnementale. » 1. En affinant leurs modélisations, les scientifiques ont finalement écarté cette menace.