Un dispositif unique pour préserver la nappe phréatique
Sécheresse, déficit de pluie, températures records... Son niveau est de plus en plus préoccupant. Des solutions existent, comme AquaRenova, procédé de réalimentation de la nappe, utilisé à Hyères.
On croirait un terrain vague. Seules les pancartes signalant l’interdiction d’y pénétrer indiquent que quelque chose se trame ici. Le long du chemin Saint-Lazare, à deux pas du lycée agricole d’Hyères, c’est bien une technologie ingénieuse et unique en région Paca qui a pris place : AquaRenova, un bassin d’infiltration de la nappe phréatique du Bas Gapeau, qui permet de la réalimenter artificiellement. Un projet inauguré en 2015 et dont la réflexion avait été lancée en 2009, après que la nappe s’est retrouvée plusieurs fois salée par de l’eau de mer.
C’est ce qu’on appelle le biseau salé. Ou quand les réserves, trop basses, passent sous le niveau de la mer, permettant à l’eau salée de s’infiltrer et de se mêler à l’eau douce, la rendant saumâtre et impropre à la consommation, à l’agriculture ou à l’arrosage.
Comme une barrière de protection
C’est pour éviter que la nappe n’atteigne un seuil critique et s’assurer de son bon approvisionnement que la ville d’Hyères a sélectionné AquaRenova, ce dispositif de réalimentation artificielle de sa principale source d’alimentation en eau proposé par Suez.
« Ce site est une sorte de barrière hydraulique », explique Aurélien Aussibal, adjoint au directeur d’agence Provence Littoral Durance Verdon de Suez et qui a suivi le dossier dès son origine. C’est une protection pour limiter l’impact du prélèvement. « On évite ainsi que le niveau ne baisse trop et laisse la place à l’eau de mer ».
Comment ça fonctionne ? « Assez simplement », assure l’expert, qui rembobine.
« Ici, on est sur un bassin d’orage, c’est-à-dire un bassin dédié à éviter les inondations. On y a ajouté deux bassins d’infiltration de la nappe, profonds de huit mètres et remplis de matériaux filtrants et naturels. »
Ces bassins reçoivent l’eau prélevée dans le Roubaud, l’autre fleuve côtier d’Hyères avec le Gapeau, à deux kilomètres de là, grâce à une « prise » et un système de pompage. Pas question de vider ce cours d’eau : « Son débit étant de 270 litres par seconde, on a limité le prélèvement à 50 litres par seconde afin de maintenir un débit dit écologique, calculé pour qu’il n’y ait pas d’atteinte à la biodiversité. » La gestion du prélèvement est en effet au coeur du dispositif, qui permet de réalimenter quelque 400 000 m3 d’eau chaque année. Mais cette eau ne manque-t-elle pas ailleurs ? Au contraire, affirme Aurélien Aussibal, « c’est plutôt vertueux ». Et d’argumenter : «LeRoubaud est alimenté par des résurgences et par un canal artificiel destiné à irriguer la plaine d’Hyères. » Autrement dit, le petit fleuve côtier reçoit de l’eau des champs agricoles dite disponible, donc pas en concurrence avec d’autres utilisations. On trouve ainsi un usage à cette eau. En tout cas de mi-octobre à mi-avril. Ensuite, « l’été, on réserve cette eau au monde agricole ».
Autonomie et coût contrôlé
Quand on lui demande le degré de satisfaction que donne AquaRenova, l’adjoint au directeur d’agence n’hésite pas une seconde : «100%!» D’abord parce qu’il n’est plus question de biseau salé et que le niveau de la nappe permet de maintenir la mer à distance : « Depuis 5 ans, on l’a significativement amélioré, en relevant son niveau minimum de 25 %. » Mais aussi parce que la ville d’Hyères est ainsi quasiment autonome en eau. Aurélien Aussibal explique en effet que les besoins des habitants en eau sont estimés à 4 millions de m3. Pour y répondre, « on est passé d’une période où on prélevait 1 million de m3 dans la nappe à 3,5 millions de m3 » . Autant d’eau que la collectivité n’a plus à acheter pour alimenter les Hyérois, qui bénéficient ainsi d’un coût contrôlé de la ressource. Bien sûr, des ajustements ont été nécessaires et les résultats n’ont pas été aussi concluants dès le départ. Au cours des premières années d’exploitation du dispositif, les prélèvements n’ont en effet pas été à la hauteur des attentes en raison de problèmes de potabilité. « Nous avons un système de deux sondes qui mesurent douze critères de qualité dans l’eau prélevée dans le Roubaud », détaille Aurélien Aussibal. Si les analyses ne sont pas satisfaisantes, la réalimentation est automatiquement interrompue. C’est ce qui s’était produit à l’hiver 2016/2017, quand des turbidités de l’eau – des matières en suspension souvent dues à la pluie – étaient venues troubler le fonctionnement d’AquaRenova. Depuis, les seuils d’alerte ont été mis en adéquation avec la qualité nécessaire à la potabilité de l’eau et le système fonctionne sans accroc.
Du potentiel pour d’autres sites
« C’est un vrai pari sur l’avenir » ,estime l’expert, dont la société fait, dit-il, de la réalimentation de nappe depuis cinquante ans. « Nous avons un véritable savoirfaire, qui pourrait évidemment être développé ailleurs dans la région, car on voit bien que ça va être de plus en plus tendu. »
On pense notamment à la nappe de la Crau en Camargue, où le phénomène de biseau salé s’observe aussi, ainsi qu’à la nappe du Var, dans les Alpes-Maritimes. Mais pas que. Aurélien Aussibal évoque également des possibilités dans les secteurs de Fréjus, Cogolin ou Mandelieu-la-Napoule. Reste à convaincre les élus des bénéfices de la méthode, qui, par ailleurs, affiche un coût élevé : à Hyères, la mise en oeuvre d’Aqua Renova a requis près de 2,5 millions d’euros. Sans parler de la question du foncier nécessaire, même si cette difficulté est, selon l’expert de Suez, secondaire. Le vrai problème, c’est que si la sécheresse devait s’accentuer encore, la réalimentation de la nappe pourrait être mise en péril, posant la question de la répartition des ressources : s’il n’y a plus suffisamment d’eau nulle part, il deviendra impossible d’en prélever où que ce soit. « Mais ce serait le scénario du pire. »