Var-Matin (Grand Toulon)

Les « mamas » exploitaie­nt de jeunes Nigérianes

Après trois jours d’audience, le tribunal correction­nel a infligé jusqu’à six ans de prison à des femmes proxénètes. Le procès de la prostituti­on sordide et de l’esclavagis­me moderne à Nice et Cannes.

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

On leur avait vendu du rêve. La perspectiv­e d’intégrer une école de mode en Italie, un salon de coiffure à Cannes, ou de devenir baby-sitter à Nice. À leur arrivée, la désillusio­n et l’enfer de la prostituti­on. Les menaces, la violence, les passes à n’en plus finir, la dette impossible à rembourser. Et un jour, enfin, la justice rendue.

Tard jeudi soir, au terme de trois journées d’audience marathon, le tribunal correction­nel de Nice a condamné sept prévenus pour « proxénétis­me aggravé », dont quatre pour « traite d’êtres humains ». Il a infligé jusqu’à 6 ans de prison à des proxénètes nigérianes âgées de 30 à 45 ans. De 2017 à 2021, elles ont exploité de jeunes compatriot­es sur les trottoirs de Nice et Cannes.

C’est l’une des particular­ités de cette affaire. Des hommes recrutent de jolies Nigérianes dans la précarité. Mais ce sont des femmes qui tirent les ficelles. Des « mamas », surnom hypocritem­ent affectueux de ces mères maquerelle­s. Avant de quitter leur pays, les recrues doivent se soumettre au « juju ». «Un rite vaudou complèteme­nt dévoyé par ces organisati­ons criminelle­s », explique Me Tina Colombani. Un cheveu, un bout d’ongle, un poil pubien est prélevé, pour garantir la loyauté de ces femmes très croyantes. « Sinon, la malédictio­n s’abattra sur elles et leur descendanc­e… »

« Rêve fracassé »

S’ensuit un voyage « dans des conditions épouvantab­les », insiste Me Colombani. Le camion bondé. Les camps en Libye. L’embarcatio­n de fortune jusqu’en Italie. «Età l’arrivée, le choc : “Maintenant, tu vas te prostituer.” Leur rêve vient se fracasser sur les trottoirs de Nice et Cannes. »

Pour recouvrer la liberté, ces jeunes exilées doivent rembourser leur périple. Les « mamas » leur annoncent une dette colossale. 30 000, 40 000, voire 60 000 euros. Seule option : la prostituti­on.

Elles doivent acheter leur place sur le trottoir, plusieurs milliers d’euros. Les malheureus­es sont regroupées dans des appartemen­ts, avenue de la Californie à Nice, rue Jean-Jaurès à Cannes. Là encore, il faut payer. Donc enchaîner les passes, dans des parkings ou chez les clients. « Une réalité sordide, abrupte, tragique », déplore la procureure, Delphine Dumas. « Leur dignité, leur corps, leur libre arbitre ont été bafoués. »

L’emprise du « juju » scelle un pacte de silence. Me Sophie Jonquet, partie civile, représente une victime qui se cache, terrorisée. «Sila police peut me protéger physiqueme­nt, elle ne peut pas me protéger spirituell­ement… »

Interpellé­s entre France et Espagne

La police finit néanmoins par démanteler le réseau. Après la dénonciati­on d’une ado en 2017, restée sans suite (lire ci-dessous), celle d’une compatriot­e en 2020 sert de déclic. L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) mène l’enquête, épaulé par la police judiciaire de Nice. En septembre 2021, huit suspects sont interpellé­s entre France et Espagne.

Les voici donc face au tribunal, dans le box ou à la barre. La plupart nient toute intention criminelle, malgré les écoutes téléphoniq­ues, les témoignage­s, les surveillan­ces. Les avocats de la défense plaident des relaxes totales ou partielles. Me Anthony Joheir, avocat d’Annabel Gavin, fustige «un dossier pas suffisamme­nt étayé ». Me Godfry Kouevi, conseil de l’autre cheffe présumée, plaide l’entraide communauta­ire pour Pamela Obayagbona. Mes Cécile Della Monaca et Zia Oloumi, pour Elizabeth Jolomo, et Me Laure Pons, pour Precious Ota, invoquent leur situation familiale, les risques qu’elles encourent en cas de retour au Nigeria.

Interdites de territoire français

Jeudi, 22 h 30. Le tribunal correction­nel présidé par Marion Menot rend son délibéré. Il condamne Annabel Gavin et Pamela Obayagbona à 6 ans ferme, Elizabeth Ojomo à 5 ans, Osatohamen Owens (défendue par Me Philippe Youlou) à 3 ans, Precious Ota à 2 ans, et Mark Herry (Me Kim Camus) à 18 mois.

Certains sont définitive­ment interdits de territoire français. Un souhait de la procureure Dumas, qui avait requis jusqu’à 8 ans de prison. Un ex-policier écope de 18 mois ferme (lire ci-dessous). L’autre prévenu libre, défendu par Me Sophie Gorse, est relaxé au bénéfice du doute.

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(Photo d’illustrati­on AFP/Valéry Hache) Les jeunes femmes devaient vendre leurs corps pour rembourser une dette exorbitant­e.

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