Les « mamas » exploitaient de jeunes Nigérianes
Après trois jours d’audience, le tribunal correctionnel a infligé jusqu’à six ans de prison à des femmes proxénètes. Le procès de la prostitution sordide et de l’esclavagisme moderne à Nice et Cannes.
On leur avait vendu du rêve. La perspective d’intégrer une école de mode en Italie, un salon de coiffure à Cannes, ou de devenir baby-sitter à Nice. À leur arrivée, la désillusion et l’enfer de la prostitution. Les menaces, la violence, les passes à n’en plus finir, la dette impossible à rembourser. Et un jour, enfin, la justice rendue.
Tard jeudi soir, au terme de trois journées d’audience marathon, le tribunal correctionnel de Nice a condamné sept prévenus pour « proxénétisme aggravé », dont quatre pour « traite d’êtres humains ». Il a infligé jusqu’à 6 ans de prison à des proxénètes nigérianes âgées de 30 à 45 ans. De 2017 à 2021, elles ont exploité de jeunes compatriotes sur les trottoirs de Nice et Cannes.
C’est l’une des particularités de cette affaire. Des hommes recrutent de jolies Nigérianes dans la précarité. Mais ce sont des femmes qui tirent les ficelles. Des « mamas », surnom hypocritement affectueux de ces mères maquerelles. Avant de quitter leur pays, les recrues doivent se soumettre au « juju ». «Un rite vaudou complètement dévoyé par ces organisations criminelles », explique Me Tina Colombani. Un cheveu, un bout d’ongle, un poil pubien est prélevé, pour garantir la loyauté de ces femmes très croyantes. « Sinon, la malédiction s’abattra sur elles et leur descendance… »
« Rêve fracassé »
S’ensuit un voyage « dans des conditions épouvantables », insiste Me Colombani. Le camion bondé. Les camps en Libye. L’embarcation de fortune jusqu’en Italie. «Età l’arrivée, le choc : “Maintenant, tu vas te prostituer.” Leur rêve vient se fracasser sur les trottoirs de Nice et Cannes. »
Pour recouvrer la liberté, ces jeunes exilées doivent rembourser leur périple. Les « mamas » leur annoncent une dette colossale. 30 000, 40 000, voire 60 000 euros. Seule option : la prostitution.
Elles doivent acheter leur place sur le trottoir, plusieurs milliers d’euros. Les malheureuses sont regroupées dans des appartements, avenue de la Californie à Nice, rue Jean-Jaurès à Cannes. Là encore, il faut payer. Donc enchaîner les passes, dans des parkings ou chez les clients. « Une réalité sordide, abrupte, tragique », déplore la procureure, Delphine Dumas. « Leur dignité, leur corps, leur libre arbitre ont été bafoués. »
L’emprise du « juju » scelle un pacte de silence. Me Sophie Jonquet, partie civile, représente une victime qui se cache, terrorisée. «Sila police peut me protéger physiquement, elle ne peut pas me protéger spirituellement… »
Interpellés entre France et Espagne
La police finit néanmoins par démanteler le réseau. Après la dénonciation d’une ado en 2017, restée sans suite (lire ci-dessous), celle d’une compatriote en 2020 sert de déclic. L’Office central pour la répression de la traite des êtres humains (OCRTEH) mène l’enquête, épaulé par la police judiciaire de Nice. En septembre 2021, huit suspects sont interpellés entre France et Espagne.
Les voici donc face au tribunal, dans le box ou à la barre. La plupart nient toute intention criminelle, malgré les écoutes téléphoniques, les témoignages, les surveillances. Les avocats de la défense plaident des relaxes totales ou partielles. Me Anthony Joheir, avocat d’Annabel Gavin, fustige «un dossier pas suffisamment étayé ». Me Godfry Kouevi, conseil de l’autre cheffe présumée, plaide l’entraide communautaire pour Pamela Obayagbona. Mes Cécile Della Monaca et Zia Oloumi, pour Elizabeth Jolomo, et Me Laure Pons, pour Precious Ota, invoquent leur situation familiale, les risques qu’elles encourent en cas de retour au Nigeria.
Interdites de territoire français
Jeudi, 22 h 30. Le tribunal correctionnel présidé par Marion Menot rend son délibéré. Il condamne Annabel Gavin et Pamela Obayagbona à 6 ans ferme, Elizabeth Ojomo à 5 ans, Osatohamen Owens (défendue par Me Philippe Youlou) à 3 ans, Precious Ota à 2 ans, et Mark Herry (Me Kim Camus) à 18 mois.
Certains sont définitivement interdits de territoire français. Un souhait de la procureure Dumas, qui avait requis jusqu’à 8 ans de prison. Un ex-policier écope de 18 mois ferme (lire ci-dessous). L’autre prévenu libre, défendu par Me Sophie Gorse, est relaxé au bénéfice du doute.