Quand nos spaghettis coûtent de plus en plus de blé
Les manuels de géographie de notre enfance creusaient le sillon d’une France agricole moderne et triomphante. La grande plaine céréalière de la Beauce, les cultures de betteraves à sucre dans la Brie... L’agriculture n’a pas connu le sort funeste de notre industrie, réduite à peau de chagrin. Mais la guerre en Ukraine vient nous rappeler que nos économies sont de plus en plus interdépendantes et que l’autosuffisance alimentaire remonte à un temps mythifié où labourage et pâturage étaient les deux mamelles de notre pays.
Peu d’entre nous l’avait imaginé avant le conflit : le blé de nos pâtes provient en partie des champs ukrainiens. Patatras, le blocus russe sur les céréales fait peser le risque d’une famine sur une partie de l’humanité et flamber le prix de nos spaghettis.
Pourtant, rien de vraiment nouveau sous le soleil. L’Ukraine, alors république socialiste, n’était-elle pas, déjà, au siècle dernier, le grenier à blé de l’URSS ? Et sans doute un peu celui des pays situés de l’autre côté du rideau de fer. Souvenons-nous de Jean-Baptiste Doumeng, surnommé le « milliardaire rouge », qui avait bâti sa fortune en détenant le monopole des importations en France des produits agricoles du bloc de l’Est. Aujourd’hui, on a changé d’échelle : 80 % des produits consommés dans notre pays – agricoles et surtout manufacturés – sont importés. La plupart des pays occidentaux sont, peu ou prou, à la même enseigne. Il n’y a qu’à faire un tour sur nos autoroutes pour constater comment, en 30 ans, le trafic de camions traversant l’Europe de part en part s’est intensifié. En mer, c’est la course au gigantisme de navires gavés de conteneurs, provenant pour la plupart d’Asie.
Faut-il déplorer ou se réjouir de cette économie de plus en plus morcelée sous l’effet d’un capitalisme débridé ? Au point que nous ne sommes plus en capacité de fabriquer des masques en cas de pandémie ou que les constructeurs automobiles mondiaux sont dépendants de semiconducteurs produits en Chine. Dans l’industrie, la course à la réduction des prix – et hélas, bien souvent son corollaire, la baisse de la qualité des produits – a mis nos entreprises à genoux. Comment lutter face à des salaires mensuels qui ne permettraient même pas, chez nous, de payer un loyer ?
Dans l’agriculture, nos exploitants résistent au prix de cultures de plus en plus intensives. Les blés de la Beauce poussent sur des terres tellement appauvries par des rendements dopés aux pesticides qu’elles ressemblent de plus en plus à des déserts.
L’élevage intensif n’est guère plus appétissant. Nous détournons notre regard des images atroces des poulets en batterie. Si la France décidait de mettre le holà à ces pratiques – elle s’en est bien gardée lors de la loi sur la maltraitance animale – nos éleveurs se retrouveraient en porteà-faux face à des concurrents étrangers qui n’auraient pas les mêmes pudeurs.
Certes, les circuits courts, les certifications, l’agriculture raisonnée ou le bio ont fait des percées significatives ces dernières années. Mais n’y a-t-il pas, quand même, un paradoxe de devoir en passer par ces filières pour être assuré d’avoir une nourriture vraiment saine ?
« Faut-il déplorer ou se réjouir de cette économie de plus en plus morcelée ? »