Var-Matin (Grand Toulon)

Quand nos spaghettis coûtent de plus en plus de blé

- d’ERIC NERI Rédacteur en chef edito@nicematin.fr

Les manuels de géographie de notre enfance creusaient le sillon d’une France agricole moderne et triomphant­e. La grande plaine céréalière de la Beauce, les cultures de betteraves à sucre dans la Brie... L’agricultur­e n’a pas connu le sort funeste de notre industrie, réduite à peau de chagrin. Mais la guerre en Ukraine vient nous rappeler que nos économies sont de plus en plus interdépen­dantes et que l’autosuffis­ance alimentair­e remonte à un temps mythifié où labourage et pâturage étaient les deux mamelles de notre pays.

Peu d’entre nous l’avait imaginé avant le conflit : le blé de nos pâtes provient en partie des champs ukrainiens. Patatras, le blocus russe sur les céréales fait peser le risque d’une famine sur une partie de l’humanité et flamber le prix de nos spaghettis.

Pourtant, rien de vraiment nouveau sous le soleil. L’Ukraine, alors république socialiste, n’était-elle pas, déjà, au siècle dernier, le grenier à blé de l’URSS ? Et sans doute un peu celui des pays situés de l’autre côté du rideau de fer. Souvenons-nous de Jean-Baptiste Doumeng, surnommé le « milliardai­re rouge », qui avait bâti sa fortune en détenant le monopole des importatio­ns en France des produits agricoles du bloc de l’Est. Aujourd’hui, on a changé d’échelle : 80 % des produits consommés dans notre pays – agricoles et surtout manufactur­és – sont importés. La plupart des pays occidentau­x sont, peu ou prou, à la même enseigne. Il n’y a qu’à faire un tour sur nos autoroutes pour constater comment, en 30 ans, le trafic de camions traversant l’Europe de part en part s’est intensifié. En mer, c’est la course au gigantisme de navires gavés de conteneurs, provenant pour la plupart d’Asie.

Faut-il déplorer ou se réjouir de cette économie de plus en plus morcelée sous l’effet d’un capitalism­e débridé ? Au point que nous ne sommes plus en capacité de fabriquer des masques en cas de pandémie ou que les constructe­urs automobile­s mondiaux sont dépendants de semiconduc­teurs produits en Chine. Dans l’industrie, la course à la réduction des prix – et hélas, bien souvent son corollaire, la baisse de la qualité des produits – a mis nos entreprise­s à genoux. Comment lutter face à des salaires mensuels qui ne permettrai­ent même pas, chez nous, de payer un loyer ?

Dans l’agricultur­e, nos exploitant­s résistent au prix de cultures de plus en plus intensives. Les blés de la Beauce poussent sur des terres tellement appauvries par des rendements dopés aux pesticides qu’elles ressemblen­t de plus en plus à des déserts.

L’élevage intensif n’est guère plus appétissan­t. Nous détournons notre regard des images atroces des poulets en batterie. Si la France décidait de mettre le holà à ces pratiques – elle s’en est bien gardée lors de la loi sur la maltraitan­ce animale – nos éleveurs se retrouvera­ient en porteà-faux face à des concurrent­s étrangers qui n’auraient pas les mêmes pudeurs.

Certes, les circuits courts, les certificat­ions, l’agricultur­e raisonnée ou le bio ont fait des percées significat­ives ces dernières années. Mais n’y a-t-il pas, quand même, un paradoxe de devoir en passer par ces filières pour être assuré d’avoir une nourriture vraiment saine ?

« Faut-il déplorer ou se réjouir de cette économie de plus en plus morcelée ? »

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