Jupiter en équilibre instable
Que de questions à l’issue de ce premier tour des élections législatives ! La France politique en ressort chamboulée. C’est un pays profondément divisé qui est apparu dans les urnes ce dimanche. Quatre groupes politiques inégaux le composent désormais et offrent un paysage jusqu’alors inconnu. Le plus important est cette armée d’abstentionnistes (52,49 % de l’électorat) qui ne cesse de recruter au fil des années. Depuis la présidentielle du mois d’avril, elle a presque doublé ses effectifs. Deux populations la composent : d’une part, les « abandonnistes » qui ne croient plus à la politique ; d’autre part, les « relativistes » qui n’en font plus une question centrale. Cette double crise civique souligne l’ampleur du désenchantement démocratique qui gagne de plus en plus l’Hexagone. Les trois autres groupes politiques ne représentaient, eux, ce dimanche que 47,51 % des inscrits. Irréconciliables, tant ils incarnent des visions différentes, ils forment le nouveau paysage partisan français après des décennies d’affrontement droitegauche.
Arrivée en tête avec 25,75 % des suffrages exprimés, la formation présidentielle Ensemble ! est en recul de 6 points par rapport aux législatives de 2017. Autant dire que le chef de l’État n’a pas reçu ce dimanche un blanc-seing pour conduire le pays. Il est même loin d’être assuré de disposer d’une majorité absolue de députés dimanche prochain. En toutes hypothèses, il devra compter avec ses alliés, François Bayrou et Édouard Philippe, pour gouverner. D’ores et déjà, ses ailes sont rognées. Guidés par leurs propres calculs dans la perspective de la présidentielle de 2027, ces partenaires-là seront exigeants, voire indociles. Nupes, version radicale de l’Union de la gauche d’antan, est le troisième groupe dans ce paysage électoral. Même si la gauche dans son ensemble a perdu 6 points par rapport à la présidentielle d’avril dernier, ses 25,66 % lui permettent d’espérer un solide bataillon d’élus à l’Assemblée nationale mais pas la majorité. Jean-Luc Mélenchon ne sera sans doute pas Premier ministre, néanmoins il a fait naître une force nouvelle et puissante. Elle sera à coup sûr une opposition sans concession et n’hésitera pas à jouer des mouvements sociaux pour contraindre Emmanuel Macron.
Ce sera aussi l’attitude du quatrième groupe. Malgré une campagne petit bras, le Rassemblement national progresse par rapport à 2017 et s’installe de plus en plus durablement dans l’électorat. Il peut même obtenir un groupe parlementaire pour la première fois depuis 1986. Évidemment, son opposition sera, elle aussi, frontale. Autant dire que ce nouveau paysage complique sérieusement la tâche du chef de l’État. Son trône repose désormais sur un seul de ses quatre pieds électoraux, Jupiter va devoir se faire équilibriste.
« Le chef de l’État n’a pas reçu ce dimanche un blanc-seing pour conduire le pays. »