Un Toulonnais sur le front ukrainien du côté russe
Philippe a rejoint le Donbass à 21 ans, il y a sept ans. Aujourd’hui encore, il continue de combattre sous les couleurs de la République populaire de Donetsk, aux côtés des troupes russes.
Philippe Khalfine se dit parfois qu’il est « un imbécile ». Qu’il s’est « foutu tout seul dans la merde ». Ce Varois de 29 ans semble avoir en grande partie perdu les illusions qui l’ont conduit en Ukraine, dans le Donbass. «Lejour même où j’ai passé la frontière, on m’a donné une kalachnikov et je me suis retrouvé au front », racontet-il. C’était il y a sept ans. Juste après la révolution de la place Maïdan.
« Un putsch en territoire étranger », « mené par une petite élite soutenue, financée et armée par l’Union européenne », estime-t-il. « Ils ont destitué le président élu, et très vite, on a vu se mettre en place des groupuscules militaires néonazis, Azov et les autres. Ils ont massacré des dizaines de manifestants pacifistes à Odessa, bombardé un bus de civils… », égraine Philippe comme autant de justifications à son départ. « Lorsque le nouveau régime de Kiev a envoyé les chars sur Sloviansk », le jeune Varois a décidé de rejoindre les séparatistes prorusses.
Si l’armée française entre au Donbass, je devrai l’éliminer”
Un pain par jour partagé en quatre
« La République populaire du Donetsk n’existait pas encore, c’était plutôt des milices. » L’une d’elle s’appelle alors « Unité continentale ». Elle est composée de volontaires étrangers. Pour la plupart français et issus de la mouvance d’extrême droite. « Les chefs l’étaient, mais dans nos rangs, il y avait aussi des communistes espagnols et même des anarchistes », assure Philippe. Lui-même ne cache pas son passé « nationaliste ». Un engagement politique qui a d’abord conduit ce fils de technicien toulonnais à s’engager dans l’armée française. Son passage au Régiment de parachutistes d’infanterie de marine (RPIMa) n’aura duré que trois mois : « Je pensais que j’allais être avec des patriotes comme moi, je n’ai trouvé que des mecs paumés dans la vie qui cherchaient avant tout un salaire. »
Cette vie-là est révolue. Philippe dit en avoir vécu « dix autres » depuis qu’il est dans le Donbass. Deux engagements militaires. Le premier par conviction idéologique. Le second, davantage pour « la gamelle » et ne plus vivre aux dépens de celle qui est devenue sa femme, une Ukrainienne prof’ de français. « Pendant des mois, on s’est contenté d’un pain par jour que l’on partageait en quatre. » Alors, le jeune Varois est retourné au front. Dans l’artillerie. « C’était une guerre de position. J’avais conscience que je tuais des gens. Mais de loin. Parfois, j’en éprouvais même une certaine satisfaction. Quand le guetteur disait “tir correct”. Que le chef était content… Là, c’est très différent », souffle-t-il. Philippe, depuis trois ans, s’était trouvé un boulot de rédacteur pour une agence de presse russe. C’est alors que la mobilisation générale a été décrétée. Pas seulement par le président Volodymyr Zelensky pour repousser les troupes de Poutine. Du côté des séparatistes prorusses aussi.
Snipers ukrainiens et fanatiques tchétchènes
Lui, l’engagé volontaire dans le Donbass en 2015, reconnaît que cette fois il a « hésité ». Au bout de cinq jours, il a fini par faire son paquetage militaire. Retour au front. « En ligne zéro », cette fois. « Maintenant, on est dans une guerre de mouvement. L’ennemi n’est parfois qu’à quelques dizaines de mètres. Je n’avais jamais vu autant de morts auparavant. Quand on doit traverser une route, on sait que deux ou trois d’entre nous vont y laisser leur peau. Si je suis encore en vie, ce n’est en réalité qu’une question de chance »,
témoigne ce combattant qui a notamment participé au siège de Marioupol.
« Un carnage », « une vraie boucherie » . Il n’a
«pas de mot»
pour décrire «cet enfer », d’un côté
« les snipers ukrainiens », de l’autre
« les fanatiques tchétchènes »
avec qui il ne veut « plus jamais travailler » …Etles « cadavres de civils dans les rues ». « Il y a eu beaucoup de civils morts », reconnaît Philippe, même s’il assure qu’il « ne saurait dire si ce sont les Russes ou les Ukrainiens qui les ont tués ».
Tout ce qu’il sait, c’est que « s’ils reprennent le Donbass, les Ukrainiens de l’ouest feront à Donetsk ce que nous avons fait à Marioupol, et que parmi ces corps de femmes calcinés que j’ai vus, il y aura peut-être celui de ma femme ». Voilà pourquoi il continue de se battre : « Pour défendre ma maison », résume Philippe. Sa maison, elle est désormais là, dans cette petite République autoproclamée que la France et l’Europe ne reconnaissent pas, mais que Vladimir Poutine est bien déterminé à défendre.
Le Varois estime que cette guerre, qu’il qualifie désormais de « fratricide et inutile », ne prendra fin que lorsque l’homme fort du Kremlin sera parvenu à ses fins. Philippe reste convaincu néanmoins que Moscou n’est pas l’agresseur, et que dans cette histoire, les torts sont partagés. Pour lui, « les ÉtatsUnis et la Russie ont trouvé un ring pour s’affronter. Si l’Ukraine est ce champ de bataille, cela n’en demeure pas moins une troisième guerre mondiale qui s’y joue ».
« Je me sens bien ici, c’est chez moi »
S’en extraire, partir, pourquoi pas revenir en France ? Philippe Khalfine avoue en avoir souvent discuté avec son épouse ukrainienne. « On se dit : “Pourquoi pas s’installer dans un pays civilisé ?”, enfin, dans un pays en paix, se reprend-il. En Russie ou en Europe. » Dans le Var de son enfance ? « J’aurais un boulot de technicien, je pourrais travailler dans l’entreprise de mon père », semble-t-il hésiter. Mais le Varois ne peut s’y résoudre. Pas tant à cause de ces enquêtes lancées par le parquet antiterroriste de Paris contre les Français qui, comme lui, ont choisi le camp des Russes. « C’est une information que je n’ai pas. En revanche, je sais que la DGSE et la DGSI [les services de renseignements français, Ndlr] connaissent mon nom depuis longtemps », sourit-il.
Cela n’a pas l’air de l’inquiéter. Moins en tout cas que l’idée de devoir bientôt remonter au front. Être de nouveau confronté à tous ces morts qui ne le laissent plus indifférent. Les jours de permission qui le ramènent auprès de son épouse à Donetsk sont rares. « Mais à chaque que je reviens ici, je m’y sens bien. Je me dis que c’est chez moi et qu’il n’y a pas de raison que j’en parte », confie Philippe. La nostalgie de ses premiers mois dans le Donbass, à l’époque où il ne parlait pas encore russe, l’a définitivement quitté. « Et puis, aujourd’hui, la France est mon ennemie », tranchet-il. « Si l’armée française met les pieds dans le Donbass, poursuit le Toulonnais sans état d’âme, mon travail sera de l’éliminer. »
J’avais conscience que je tuais des gens, mais de loin ”