Les fausses notes
Les notes ne sont plus en odeur de sainteté à l’école. Pas question de martyriser nos chères têtes blondes avec un zéro pointé. Même le baccalauréat a changé de credo. L’omnipotent examen final a laissé la place à une formule émolliente avec une bonne dose de contrôle continu. Hérésie pour les uns, nécessaire adaptation aux évolutions de la société pour les autres. Paradoxalement, tandis que l’enseignement réfrène l’absolutisme de la note, notre monde numérisé offre aux internautes l’occasion de noter à tout bout de champ. Restaurants, locations de vacances, garagistes, livreurs, médecins... rien ni personne n’échappe à cette boulimie appréciative sur le Web. Malheur au serveur qui aura apporté avec un peu de retard le plat commandé ! Le restaurant sera gratifié d’un commentaire acerbe et d’une note rédhibitoire sur un site spécialisé. Uber va même jusqu’à exclure temporairement ses chauffeurs lorsqu’ils cumulent des mauvais points, fût-ce pour des erreurs vénielles.
Le client est roi, dit-on, et, à ce titre, il a droit à tous les égards. Mais que faire lorsqu’il se comporte comme un tyran dans la pétaudière des avis sur Internet ?
Il est recommandé aux professionnels de répondre aux commentaires désobligeants. La nature a horreur du vide et quelques mauvais coucheurs ont désormais le pouvoir, en faisant baisser la moyenne, de défaire une réputation en un rien de temps.
Aucun barrage ne résiste à la toute-puissance du digital. Mieux vaut donc accompagner le mouvement. À ce titre, des professionnels n’hésitent pas à demander à leurs clients un commentaire... à condition qu’il soit bon, bien sûr. Les étoiles, les points, les émojis, le pouce levé ou baissé - comme aux jeux du cirque -, c’est tout un arsenal qui accompagne les avis. Faut-il pour autant dénier au grand public le droit de porter un jugement alors que, dans la restauration, des guides en font profession depuis longtemps ? Les critiques gastronomiques auraient-ils plus de légitimité que les consommateurs moyens ? Il serait vain de remettre en cause cette « démocratie digitale » qui dépoussière les vieux schémas.
Seules les dérives peuvent inquiéter. L’URSS n’a pas attendu le numérique pour noter ses meilleurs ouvriers, placardant les photos des plus efficaces et dociles sur les murs des usines. Les Chinois, au titre de salariés mais aussi de citoyens, sont mis en coupes réglées aujourd’hui avec l’aide des nouvelles technologies.
La frontière entre le jugement et la dénonciation est souvent ténue. Comment faut-il interpréter ces indications à l’arrière de certains camions invitant à donner son sentiment à l’aide d’un QR code sur la conduite du chauffeur ? Comme une incitation à respecter le Code de la route ou comme un couperet au-dessus de la tête de conducteurs mis régulièrement dans la situation intenable de respecter, coûte que coûte, les horaires de livraison ? Impitoyable capitalisme numérique qui a fait de nous des consommateurs-noteurs. Au point de nous faire oublier que celui qui note aujourd’hui sera peut-être, lui-même, noté demain.
« Que faire lorsque le client se comporte comme un tyran dans la pétaudière des avis sur Internet ? »