Var-Matin (Grand Toulon)

Les cosaques se battent aussi contre l’armée russe

Les farouches guerriers de la steppe, des volontaire­s regroupés en bataillons civils informels, n’ont aucun état d’âme pour s’engager dans l’armée et combattre Vladimir Poutine.

- PATRICK FORESTIER De notre envoyé spécial en Ukraine,

La route qui pénètre les faubourgs de Dnipro est barrée d’une succession de chicanes en béton surmontées de sacs de sable où veillent des hommes en arme. À 500 kilomètres de Kiev, la menace des chars russes est présente. Le Donbass, où se déroulent des combats acharnés, est à trois heures de route. Peu de temps au regard de cette immense steppe cultivée de céréales. La veille, les stocks de carburant de Novomoskou­sk, Nouveau Moscou en français, ont été bombardés par des missiles russes tirés depuis la mer Noire.

Comme leurs ancêtres

Les gros réservoirs dégagent audessus de cette ville voisine de Dnipro des nuages de fumée. « Poutine. 1952-2022 » ont gravé sur une plaque funéraire en marbre noir ceux qui voient le président russe mourir avant la fin de l’année. « Les Russes, allez vous faire f… ! », peut-on lire sur une banderole suspendue au pont, couvert de sacs blanc, qui enjambe les quatre voies.

À côté, une autre annonce : «Les Cosaques vont vous envoyer en enfer », en parlant des soldats peu motivés de Poutine qui sont à la peine malgré leur artillerie. Ici, les farouches guerriers de la steppe ne sont pas des légendes. Regroupés en bataillons civils informels, les volontaire­s animés par les principes cosaques sont plusieurs milliers. Ils se réclament des Cosaques dits « Zaporogues », de derrière les rapides en français, qui se sont regroupés dès le XVIe siècle dans les îles du majestueux fleuve Dniepr qui traverse Dnipro.

En étant, suivant les époques, contre ou avec le tsar pour jadis arrêter les Ottomans aux limites de l’Empire, ils n’ont aucun état d’âme pour s’engager dans l’armée et se battre, à l’image de leurs ancêtres, contre Vladimir Poutine, le nouveau tsar du Kremlin. Ils ont troqué le sabre contre la kalachniko­v, mais gardent le même engagement au combat.

De chauffeur routier à sergent-chef

Yvan Luzeptchuk est de ceux-là. Blessé, il est à l’hôpital Metchnikov. Né à Novomoskou­sk, où flambent les réservoirs, il était chauffeur routier en Espagne quand, le 24 février dernier, l’armée russe a pénétré en Ukraine.

Son sang n’a fait qu’un tour. Il est revenu chez lui et, à 52 ans, s’est engagé. Sergent-chef, il a été envoyé dans la bataille de Sievierodo­netsk qui fait toujours rage. Les soldats ukrainiens y sont à la peine face au pilonnage russe. Il y a dix jours, l’unité d’Yvan est chargée d’attaquer l’ennemi sur son côté pendant qu’une autre compagnie effectue la même manoeuvre sur l’autre.

L’effet de surprise ne joue pas. Les Russes ripostent avec toutes leurs armes, y compris leurs canons qui font cruellemen­t défaut aux Ukrainiens. «Jenesais pas si c’est un obus ou une mine qui a explosé à côté de moi, mais j’ai été projeté sur le sol, sonné par le blast. Je n’y voyais plus rien. Depuis, j’ai l’oeil droit fermé. Il a été touché par de la terre et des petits éclats », me raconte Yvan, assis sur le lit de sa chambre commune qu’il partage avec quatre autres camarades, blessés comme lui.

Tous affichent la quarantain­e. Les trois costauds en face sont muets, allongés sur leur lit étroit. Ils ont des croûtes de sang sur le visage, mais peuvent suivre l’infirmier qui vient les chercher. L’inconnu à côté d’Yvan est un grand maigre, habillé d’un treillis. Il a le visage tuméfié, avec des ecchymoses. Un énorme coquard entoure son oeil gauche, sa joue est enflée. « C’est un anglais », me souffle Yvan. L’inconnue est taciturne. « Je n’ai pas envie de parler », me dit-il.

Deux autres volontaire­s britanniqu­es ont été capturés par les Russes. Ils viennent d’être condamnés à mort par la cour suprême de la République autoprocla­mée de Donetsk, contrôlée par Moscou. Yvan, dans son malheur, a eu de la chance. « Dès que je suis guéri, je retourne au front. Pour protéger ma famille et mon pays. Sans l’esprit des cosaques, je n’en aurais pas la force. »

Les cosaques de Dnipro se préparent au pire. Ils veulent participer à la défense territoria­le de la ville.

« Nous sommes l’âme de l’Ukraine »

En attendant, ils envoient des colis aux soldats, soutiennen­t leurs familles et enseignent les traditions cosaques aux jeunes. Et organisent des séances de tir.

« Nous sommes l’âme de l’Ukraine et la source de son armée. Nous la protégeons, ainsi que nos familles », assure Youri Tchernenko, un ancien d’Afghanista­n. Crâne à demi rasé, moustache fine à la Taras Bulba, il règne avec son ami Oleg sur un musée plein d’armes apparemmen­t démilitari­sées.

Dans l’entrée, trois caisses de munitions et les portraits des hetmans, les chefs disparus. À l’intérieur, lance-roquettes, grenades, et mines trônent sur une table à côté d’une carte de Marioupol, la ville qui résisté aux Russes jusqu’au bout.

« On se prépare, me souffle Youri.

Nous sommes des Cosaques. On n’est pas obligé de demander la permission de porter des armes pour défendre notre pays contre les Russes ».

 ?? (Photos P. F.) ?? A gauche, Youri Tchernenko, moustache à la Taras Bulba, un ancien d’Afghanista­n et son acolyte Oleg (en treillis) ; à droite : Yvan Luzeptchuk, blessé, sur son lit d’hôpital.
(Photos P. F.) A gauche, Youri Tchernenko, moustache à la Taras Bulba, un ancien d’Afghanista­n et son acolyte Oleg (en treillis) ; à droite : Yvan Luzeptchuk, blessé, sur son lit d’hôpital.
 ?? ??
 ?? ??

Newspapers in French

Newspapers from France