Var-Matin (Grand Toulon)

La semaine vagabonde de Denis Carreaux

- Directeur des rédactions du groupe Nice-Matin edito@nicematin.fr

Lundi

Tout va bien. Au lendemain du second tour des législativ­es, la France se réveille sans majorité. Le pouvoir, concentré depuis des lustres à l’Élysée, va migrer de l’autre côté de la Seine, au Palais-Bourbon. En Ukraine, les Russes intensifie­nt leurs bombardeme­nts. À Paris, un appel à la grève est lancé pour le jour de la finale du Top 14 de rugby au Stade de France, devenu un haut lieu de la castagne. À la pompe, le tarif du gazole bat un record. Un de plus. Dans le même temps, le prix du produit le plus vendu en France, l’eau de source Cristallin­e, a bondi de 12 % en trois semaines. Aymeric Caron, l’intégriste vegan qui veut interdire la pêche, la chasse et la consommati­on de viande, s’apprête à faire son entrée à l’Assemblée. Il partagera son banc avec l’écolowokis­te Sandrine Rousseau qui nous promet déjà « le chahut dans l’hémicycle ». Tout va bien.

Mardi

Voilà l’été. Comment ? Nous n’étions pas déjà en été ? Malgré les apparences, le thermomètr­e qui dépasse les 40°C dans le Sud-Ouest, les rivières à sec et les feux de forêt, nous tournons aujourd’hui seulement la page du printemps. En avance, avec son soleil de plomb et ses touristes agglutinés plus tôt que d’habitude sur les plages et les terrasses, la saison estivale s’annonce comme celle de tous les dangers. La canicule précoce nous prépare à des températur­es hors-norme, les pompiers sont sur les dents, une nouvelle vague Covid se profile, les services d’urgence des hôpitaux n’arrivent plus à faire face faute de personnel, et les aéroports européens sont au bord de l’implosion pour les mêmes raisons. Pas de doute, l’été sera chaud.

Mercredi

Il n’a pas changé. Emmanuel Macron n’est peut-être pas le garçon un peu fou ni l’apprenti baladin de la chanson de Julio Iglesias, mais lui non plus n’a pas changé, contrairem­ent à ce qu’il affirme à intervalle­s réguliers. Son allocution télévisée, exceptionn­ellement courte, nous en donne une démonstrat­ion éclatante. Le Président de la République nous explique avoir été réélu pour son « projet clair »,

feignant d’oublier que beaucoup de Français ont surtout voulu barrer la route à Marine Le Pen. Il retient ensuite que « ces élections législativ­es ont fait de la majorité présidenti­elle la première force politique de l’Assemblée », renvoyant gentiment les opposition­s à leur responsabi­lité. La sienne ? Silence radio. Sa Première ministre, Élisabeth Borne ? Même pas citée. Les 41 députés

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qui manquent à l’appel ? Il en reconnaît du bout des lèvres « une trentaine sur 577 ».

Chiffre étonnant dont on se demande s’il traduit réellement une approximat­ion ou si c’est au contraire une manière de suggérer que les débauchage­s individuel­s ont déjà commencé. Non, vraiment, Emmanuel Macron n’a pas changé.

Jeudi

Avec ou sans cravate ? Dans le match à distance qui oppose le Rassemblem­ent national et la Nupes, vainqueurs autoprocla­més des législativ­es, chaque détail compte. Du côté des mélenchoni­stes et de leurs nouveaux alliés, on veut faire comprendre que l’arrivée massive de nouveaux députés de gauche va faire souffler un vent de fraîcheur à l’Assemblée. Sur la photo de famille, les tenues sont décontract­ées. La cravate ? Pas question. Ce n’est pas parce qu’ils ont été élus que les Insoumis modifient leur look. Du côté du RN, c’est tout le contraire. Ordre et discipline, Marine Le Pen qui redoute plus que tout les dérapages de nouveaux députés pas au niveau, organise aujourd’hui un séminaire de formation. Sa consigne aux hommes est claire : cravate obligatoir­e pour coller au sérieux de la fonction. Pas de vague, priorité à la crédibilit­é, la finaliste malheureus­e de la présidenti­elle sait pertinemme­nt qu’elle dispose de 5 ans pour démontrer avec son puissant groupe parlementa­ire sa capacité à être demain à la hauteur de la fonction suprême.

Vendredi

La grande régression. À quelques heures d’intervalle, la Cour suprême américaine se fend de deux décisions aussi archaïques qu’inquiétant­es, qui en disent long sur l’état moral de la plus grande puissance mondiale. Un mois jour pour jour après la tuerie d’Uvalde (Texas) qui a coûté la vie à 21 personnes, dont 19 enfants, la plus haute juridictio­n consacre le droit des Américains à sortir armés en dehors de leur domicile, reculant ainsi d’un bon siècle. Mêmes causes, mêmes effets avec la remise en question du droit à l’avortement. La décision de la Cour suprême renvoie les États-Unis à la situation d’avant 1973, quand chaque État était libre d’autoriser ou non les interrupti­ons volontaire­s de grossesse. Retour de l’esclavage ? De la ségrégatio­n raciale ? On attend avec impatience la prochaine décision d’une juridictio­n aussi puissante qu’influençab­le qui donne l’impression d’être restée figée dans les années Trump.

Samedi

Sortie de Broute. Il préfère arrêter en plein succès, et il a sans doute raison. Le comédien Bertrand Usclat annonce en chanson dans une ultime vidéo mettre fin à Broute (2), sa mini-série parodique diffusée pendant quatre ans sur Canal + et les réseaux sociaux. « C’était fou. C’était une des plus belles périodes de ma vie », chante Bertrand Usclat, qui dit réfléchir à « de nouveaux formats ». Nul doute que ses vidéos dans lesquelles il se met en scène en cycliste parisien, en dirigeant véreux d’Ehpad ou en politicien sans scrupule deviendron­t rapidement cultes. Intelligen­tes, drôles, bien senties et souvent bienveilla­ntes, les pastilles Broute tranchaien­t dans le flux médiocre et souvent malsain des réseaux sociaux. Elles nous manqueront.

1. « Ensemble ! » a obtenu 245 députés sur 249 nécessaire­s pour la majorité absolue, mais au moins trois autres ont depuis fait savoir qu’ils allaient rejoindre le camp présidenti­el, ou coopérer avec.

2. En référence au média en ligne Brut et à ses courts formats carrés.

« Contrairem­ent à ce qu’il dit à intervalle­s réguliers, Emmanuel Macron n’a pas changé. »

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