L’émouvante lettre de Kenza, 10 ans, à la cour
La cour d’assises spéciale a écouté hier le récit glaçant des victimes présentes sur la promenade des Anglais lors de l’attentat.
«Moi, je voulais juste des bonbons. Ce soir-là, il y avait maman, tata, mamie, papy et doudou lapin. C’était une très belle soirée. Elle s’est transformée en quelque chose de moche. Quand nous sommes arrivés au stand de bonbons, des filles trop gentilles nous ont laissés passer. Dans mon sac de bonbons, il y avait une araignée, un serpent, une framboise rouge, une framboise noire et une fraise Tagada. Depuis ce soir-là, c’est très dur pour moi à l’école, dans la rue et à la maison. Et voilà. »
Kenza, âgée de 4 ans ce funeste 14 juillet 2016, 10 ans aujourd’hui, avait demandé à témoigner devant la cour d’assises spéciale de Paris. Le président s’y est opposé, expliquant que sa déposition risquerait de faire plus de mal que de bien à l’enfant qui lutte pour tenter de se reconstruire.
Alors Kenza a écrit une lettre, lue à l’audience par Me Topaloff. Quelques lignes par lesquelles elle essaie, avec ses mots d’enfant meurtrie, de raconter son 14-Juillet et les conséquences du drame.
Ce soir-là, elle se trouvait avec sa maman au stand de bonbons quand le poids lourd conduit par le terroriste a foncé sur elles. Par un réflexe de survie inouï, Hager Ben Aouissi s’est jetée sur sa fille, la recouvrant de son corps avant de passer sous les roues du camion. Toutes deux ont eu la vie sauve. Six ans après Kenza fait toujours des cauchemars, est effrayée au moindre bruit, ne se sépare plus de sa tétine et mouille encore son lit.
« L’impression de devenir folle »
Lors de cette 23e journée d’audience, se sont succédé à la barre Nadège, Patrick, Julie, Marie-Claire, Ombretta, Giuseppe… venus décrire les conséquences physiques et psychologiques du traumatisme : crises de panique, algodystrophie, myotonie… Des pathologies handicapantes survenues parfois des années plus tard, qui les empêchent pour certains de travailler et les ont plongés dans la précarité. D’autres racontent aussi l’envie d’en finir, « l’impression de devenir folle », hantés par l’amoncellement de corps, «lebruit des os qui craquent » ou «le regard vide et à la fois déterminé » du tueur croisé au volant du 19 tonnes. Valentyna, Ukrainienne de 57 ans vivant à Nice, venue admirer le feu d’artifice avec deux couples d’amis et leurs deux petites filles ce soir-là, a minutieusement décrit les dernières heures de Tatiana, 63 ans, mortellement blessée sur la promenade des Anglais. Pour ne jamais oublier. De cette soirée elle veut retenir l’étole posée sur ses épaules par son amie pour la protéger de la fraîcheur de cette nuit d’été, puis une fois le petit groupe dispersé comme des quilles sur le bitume par le monstre de fer, « la belle chevelure de Tatiana étalée autour de son visage sur le trottoir » ; les cris déchirants de la petite-fille de celle-ci, Sveltlana, 13 ans, défigurée, la mâchoire brisée, les côtes et le bassin fracturés, à côté de laquelle elle a pris place dans l’ambulance.