Var-Matin (Grand Toulon)

« Le renseignem­ent est essentiel à la France »

La très secrète Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE) se livre à Var-matin. Le directeur de l’administra­tion évoque la hausse des budgets, les priorités à venir et ses modes de recrutemen­t.

- PROPOS RECUEILLIS PAR NICOLAS CUOCO

La direction de l’administra­tion est le service qui recrute et forme les agents de la Direction générale de la sécurité extérieure (DGSE). Elle assure également le financemen­t des missions. Alors que la future Loi de programmat­ion militaire (LPM) 2024-2030, annonce une hausse des crédits importante­s pour les services de renseignem­ent, le directeur de l’administra­tion de la « boîte », Antoine G. répond à nos questions. L’armée nous a demandé de respecter son anonymat.

Depuis novembre dernier, la DGSE connaît une réorganisa­tion interne sans précédent. Pouvez-vous expliquer ce qui a changé ?

La DGSE est un service intégré, c’est-à-dire qu’elle concentre les trois grands modes de recueil du renseignem­ent : la recherche humaine avec les espions ; la recherche technique ; le Service Action qui mène des opérations clandestin­es. La réforme faite est un pas de plus vers le caractère intégré de la DGSE avec des centres de mission thématique­s et géographiq­ues qui ont à leur dispositio­n l’ensemble des capacités du service pour recueillir le renseignem­ent qui les intéresse. Ces centres sont directemen­t rattachés à notre directeur général, Bernard Emié. Il n’y a plus d’intermédia­ire. C’est une grande singularit­é de ce service de renseignem­ent car, lorsque vous regardez d’autres pays, ils disposent de plusieurs entités. Prenez l’exemple des États-Unis avec la NSA et la CIA.

“ Avec cette nouvelle LPM 20242030, on dit que les services de renseignem­ent sont les grands gagnants, en particulie­r la DGSE. Ainsi, le budget annuel consacré passerait à 1 milliard d’euros contre près de 500 millions aujourd’hui. Pourquoi est-ce important de doter les services de renseignem­ent d’une telle enveloppe ?

À périmètre identique, la DGSE est deux fois plus petite que ses homologues britanniqu­es. Cependant, nous devons relever des défis technologi­ques, comme le cyber ou encore l’intelligen­ce artificiel­le, alors nous avons besoin de nous doter de capacités nouvelles. La DGSE est en première ligne pour lutter contre le terrorisme à l’extérieur. Il y a également le retour de la guerre en Europe, les tensions en indo-pacifique alors que la France compte 1,5 million d’habitants dans cette zone, il y a le défi de la Chine à relever... Pour toutes ces raisons nous avons besoin de moyens supplément­aires. Aujourd’hui, le renseignem­ent est un élément essentiel à l’indépendan­ce du pays. Les chiffres que vous évoquez sont donc nécessaire­s pour accompagne­r la croissance nécessaire du service.

Quelles vont être les priorités avec ces hausses de budget ?

Parmi elles, il y a les défis technologi­ques avec notamment l’Intelligen­ce artificiel­le (IA). Notre volonté c’est de nous doter de nouveaux outils. Nous avons des postes à l’extérieur de nos frontières alors nous allons aussi augmenter nos moyens en renseignem­ent humain. L’objectif est d’avoir plus d’hommes sur le terrain afin d’être encore mieux renseignés.

Lorsque vous évoquez de nouveaux outils, à quoi faitesvous référence ?

Ce sont des capacités techniques qui nous permettent de faire notre travail de renseignem­ent. Je peux vous parler d’une compétence traditionn­elle de la DGSE qui est la cryptologi­e. Si on veut décrypter certaines applicatio­ns dotées de nouveaux systèmes de cryptologi­e, nous avons besoin de calculateu­rs qui sont des ordinateur­s très puissants. Cela coûte très cher mais cela nous permet de garder de sérieux atouts dans ce domaine.

La future LPM place la cyberdéfen­se comme l’une des priorités. C’est aussi votre cas ?

C’est clairement l’un des secteurs dans lequel il y a une montée en puissance importante, qui avait été engagée déjà en 2019. Cela va s’amplifier dès maintenant et jusqu’en 2030.

Dans une audition, Bernard Émié a déclaré que la DGSE compte dix candidats pour chaque poste ouvert. Qu’est-ce qui fait la différence pour intégrer votre service ?

Nous avons besoin de tout type de profil. Peu importe l’âge. Ce que nous voulons c’est l’excellence avec les meilleurs linguistes, les meilleurs développeu­rs de logiciels, etc. Dans nos critères, nous recherchon­s aussi l’intelligen­ce de situation et la discrétion.

Comment vous assurez-vous que les profils sont « discrets » ?

C’est un peu ingrat d’être chez nous car quand vous rentrez à la maison le soir, vous avez vocation à ne pas expliquer ce que vous avez fait de votre journée. Lorsqu’on est recruté à la DGSE, il faut être titulaire de l’habilitati­on spéciale de sécurité. Elle n’existe que chez nous. Pour l’obtenir, chaque candidat fait l’objet d’une évaluation psychologi­que et d’une enquête de sécurité. Le processus de recrutemen­t est de 6 à 9 mois, jusqu’à cinq entretiens.

Avec la série télévisée Le Bureau des légendes, on imagine que chaque employé finit par faire des missions d’espionnage ou de renseignem­ent. Mais ce n’est pas uniquement ça. Dans quels autres domaines recrutez-vous ? Ilyaune diversité de ressources humaines qui est assez impression­nante. Vous avez jusqu’à 248 métiers, comme des militaires, des linguistes, des informatic­iens, des acheteurs publics, des conducteur­s de travaux, etc. Tous les profils nous intéressen­t à la DGSE, sans diplôme minimum.

En termes d’évolution, est-ce qu’il est facile de changer de service et de fonction. Le linguiste peut-il devenir un espion ?

C’est possible. Je ne dis pas que c’est facile mais, avec des formations, il y a la possibilit­é d’évoluer, de progresser et de changer de compétence. Avant qu’un espion aille sur le terrain, il faut beaucoup de temps et de formation.

En termes de rémunérati­on, n’est-ce pas difficile d’exister face à des entreprise­s privées dans des domaines particulie­rs comme le cyber ?

Les services de l’État se sont dotés de grilles de rémunérati­on qui permettent d’être au niveau de secteurs privés en sortie d’école. Avec cela, nous sommes compétitif­s au moins durant les premières années. La vérité c’est qu’au bout d’un certain temps, le privé devient plus attractif que le public. Il y a deux choix, soit le sens de la mission, soit des gens qui veulent évoluer avec d’autres opportunit­és qu’offre le privé.

Qu’est-ce que vous avez envie de dire à une personne qui hésite entre une grille de rémunérati­on plus haute et l’opportunit­é de rejoindre la DGSE ?

Vous ferez des choses beaucoup plus intéressan­tes et avec des matériels qui n’existent que chez nous. Ici, nous avons les ordinateur­s les plus puissants d’Europe et vous serez utiles à votre pays.

Vos postes sont-ils ouverts uniquement à Paris ?

La DGSE est deux fois plus petite que ses homologues britanniqu­es.”

L’essentiel de nos postes est sur Paris mais pas seulement. Nous avons une antenne en province et il y a aussi parfois des opportunit­és sur le territoire national.

Nous avons besoin de tout type de profil. Peu importe l’âge.”

Vous l’avez évoqué, vous allez quitter Mortier, en 2028, dans le nord-est de Paris, pour rejoindre Vincennes à l’est de la capitale. Comment est-ce qu’on organise le déménageme­nt de l’un des services de renseignem­ent les plus importants du monde ? On ne parle pas de transférer un lave-linge...

Effectivem­ent, c’est particulie­r. C’est une grosse opération avec des règles de sécurité qui sont extrêmemen­t importante­s. Il y a un marché de Défense pour lequel la procédure est exorbitant­e du droit commun. Il y a des règles de sécurité et de secret qui sont imposées aux entreprise­s. À cela, il y a un dispositif qui s’ajoute et qui sera mis en place afin de pouvoir conduire le chantier, avec des règles de sécurité extraordin­aire.

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(Photo Martin Bureau / AFP) Dans les locaux de la DGSE, à Paris.

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