Var-Matin (Grand Toulon)

« Le rugby français M’allait comme un gant »

Si Wilkinson était le symbole, Giteau l’artiste et Van Niekerk le capitaine, Bakkies Botha était, lui, l’idole de Mayol. Dix ans après le premier titre européen à Dublin, nous avons retrouvé le méchant auquel tout un peuple aimait s’identifier.

- Textes : Pierrick ILIC-RUFFINATTI Photos : P. BLANCHARD

Retiré de la vie publique depuis son départ de Toulon en 2015, Bakkies Botha mène une vie paisible dans sa ferme « située à la frontière du Botswana ». Pourtant, s’il a quitté la scène au sommet, choisissan­t de partir avec trois titres européens dans la besace, le géant continue de respirer Rouge et Noir. « Aujourd’hui, je bosse dans le secteur bovin. Sans public, sans bruit, juste avec le calme des animaux. Je ne peux pas me permettre

Steffon Armitage disait récemment que si vous aviez eu un Campus aussi moderne, vous auriez plus bu de cafés que joué au rugby. Qu’en dites-vous ?

Déjà, c’est splendide, même si je ne reconnais que la pelouse ! Mais Steffon a raison (rires). Maintenant, il ne faut pas romancer l’époque. De l’extérieur, beaucoup pensaient que tout était facile. Mais il y a aussi eu des moments difficiles. Après une défaite, on nous demandait de venir le dimanche matin à

7 heures pour se faire tirer les oreilles, alors que nous étions rentrés dans la nuit de Clermont ou de Brive. Mais ce groupe avait du caractère. Il n’acceptait pas la défaite.

Comment gériezvous les égos ?

Il y avait un respect mutuel entre des joueurs de classe mondiale. Et j’espère que les mecs de l’équipe actuelle vont trouver cette osmose, et réussir à rapidement gagner des titres. C’est fou de se dire que j’étais sur le terrain lors du dernier trophée remporté (rires).

À l’époque, vos détracteur­s disaient pourtant que vous étiez des mercenaire­s. Ça vous piquait ?

Oh que oui ! Je voulais prouver, à chaque fois que je mettais les crampons, que je n’étais pas venu pour l’argent. Je venais à Toulon pour gagner le respect des supporters et de mes coéquipier­s. Des mecs comme Wilkinson, Hayman, Sheridan, Giteau, Mitchell, Halfpenny, Contepomi, Michalak, Ali Williams, je les considérai­s comme des ennemis depuis des années, et d’un coup je me suis retrouvé sous le même maillot. Alors je voulais qu’ils se disent “ok, Bakkies ne triche jamais”. J’ai entendu “pré retraite”, “dernières saisons au soleil” ou que le RCT était une “maison de retraite”, mais on a su donner tort à ces détracteur­s. Moi, j’aurais pu

donner ma vie pour respecter ce maillot.

Avant de venir en 2011, que connaissie­z-vous de Toulon ?

Que c’était un club historique, en difficulté sportiveme­nt, mais qui avait su recruter George Gregan en Pro D2. Victor Matfield également, mais il n’a joué que six mois (rires). De l’extérieur, Toulon ressemblai­t à une grande kermesse. Comme si les mecs venaient pour prendre du plaisir, pas pour jouer au rugby. Mais quand j’ai commencé à me renseigner sur l’histoire de ce club, j’ai compris que le RCT était taillé pour moi. Avec sa culture des avants méchants, d’un rugby physique, brutal… Si tu ajoutes une belle météo, tu te dis qu’on avait plus de chance que les joueurs de Clermont (rires). Enfin, les supporters avaient l’air complèteme­nt enragés, avec le Pilou Pilou - que je connais toujours d’ailleurs. Tout était réuni pour que j’accepte de terminer les quelques années qu’il me restait à Toulon.

Vous jouiez depuis 11 saisons aux Bulls. Pourquoi avez-vous choisi, à 32 ans, de sortir de votre « confort » ?

Car je voulais changer de vie et découvrir le Top 14, que je regardais tout le temps à la télé. Je rêvais chaque nuit de jouer sous la pluie, dans la boue, en plein hiver à Agen, Bordeaux.

Y penser me donnait des frissons. Alors quand Toulon m’a contacté, je n’ai pas hésité. Finalement, ça a été une deuxième jeunesse.

C’est-à-dire ?

d’avoir des supporters qui me crient dessus, car si j’entends un “allez Toulon”, ça me met la chair de poule, j’ai envie de mettre le maillot et de casser des trucs ». Méchant, brutal, agressif à souhait et capable de terroriser un pack d’un seul sourire, Bakkies Botha était finalement plus Toulonnais que les Toulonnais… Huit ans après son départ, celui que ses pairs surnommaie­nt « l’exécuteur » nous raconte son histoire d’amour avec le club frappé du muguet.

En partant des Bulls, je croyais que j’étais vieux. Mais en arrivant à Toulon, j’ai vu un mec comme Simon Shaw qui avait six ans de plus que moi, et qui mettait les crampons tous les matins. Il faut dire que le jeu proposé en Top 14

est plus lent, mais putain, ça tape ! C’était incroyable. Le rugby français m’allait comme un gant. Ici, les mecs aiment le contact. Parfois, tu brises l’os d’un adversaire, parfois un adversaire te brise un os… Putain, c’est ça le rugby quoi (rires) !

Que gardez-vous aujourd’hui de ces quatre saisons ?

Mayol, le RCT, les supporters, les matchs sous des seaux d’eau à Agen, durant lesquel tu te fais casser la main, mais où tu as brisé une épaule. J’ai aimé ce jeu. Pouvoir terminer à Toulon, c’était un rêve. Et aujourd’hui, mes amis ne me parlent jamais des Springboks ou des Bulls, mais du RCT. C’est LE sujet, et là d’où j’ai ramené mes plus belles histoires. Toulon, c’était la cerise sur le gâteau. Tu ne peux pas mieux terminer ta carrière.

J’aurais donné ma vie pour ce maillot”

Quel adversaire vous a le plus marqué en France ?

Je rêvais chaque nuit de jouer sous la pluie, dans la boue, en plein hiver à Agen, Bordeaux.”

Quand tu vois la douleur dans le regard des adversaire­s, c’est que tu as réussi ton boulot.”

Ce qui était génial quand j’étais à Toulon, c’est que chaque mec voulait se mesurer à Bakkies Botha. Et il y avait des guerriers dans chaque club… Je pense à Mamuka Gorgodze. À Pascal Papé également. Et quand tu vois qu’absolument tout le monde veut voir ce qu’il vaut face à toi, c’est que tu es au bon endroit.

Cependant, ça impliquait de mettre son corps au milieu de la route chaque samedi…

Ça veut dire qu’on me respectait. Puis c’est quand c’est dur, quand on ne veut pas que tu ne t’en sortes, que la victoire est la plus savoureuse. Quand tu vois la douleur dans le regard des adversaire­s, c’est que tu as réussi ton boulot. C’est la meilleure sensation qui existe. La clé, c’était de cerner qu’ils n’allaient pas bien... pour en rajouter ! Et de garder le sourire pour qu’ils doutent. “Je vois la peur dans tes yeux, et tu n’imagines même pas ce qu’il me reste à te donner” (rires).

N’était-ce pas difficile d’être Bakkies Botha tous les weekends ?

Il n’est pas toujours simple d’être réputé pour ta puissance, ta méchanceté et le fait d’être l’Enforcer [son surnom, qui signifie l’exécuteur en anglais] .Ça demande beaucoup à ton corps. Finalement, quand tu es Bakkies Botha, tu ne peux pas être à 80 %. C’était vrai chaque week-end en Top 14. Ou quand on jouait face à l’équipe de France en sélection. C’est culturel chez vous… Quand les Français décident que ce jour est LE jour, vous pouvez être certains que la journée sera longue. Donc bien sûr que c’était parfois difficile d’être Bakkies Botha. Car si Bakkies Botha est battu dans un ruck, l’équipe adverse pense qu’elle a gagné. Tu ne peux montrer aucune faiblesse. Mais vous savez, je savais que j’avais ce talent pour la méchanceté, donc je ne voulais pas imaginer d’entrer sur le terrain à 80 %. Parfois, je dépassais la ligne, car il n’est pas évident, quand tu as un jeu brutal, de toujours rester dans les clous... alors j’ai pris quelques cartons jaunes (rires).

Et au quotidien ?

Depuis mon retour en Afrique du Sud, je me suis un peu retiré de la vie publique. Pourquoi ? Car quand je vais en ville, les gens sont sympas, viennent me parler, demandent une photo et le temps que je discute un peu, mes enfants sont partis, car c’est frustrant pour eux. Ils aimeraient pouvoir me montrer des tee-shirts, aller au cinéma, qu’on aille manger en ville, mais c’est devenu impossible.

Ne pourriez-vous pas refuser les sollicitat­ions ?

Il n’en est pas question. J’accepte toujours, car c’est bienveilla­nt. Enfin toujours… Je ne veux pas qu’on vienne, qu’on m’attrape par l’épaule et qu’on me dise “oh, Bakkies, fais moi une photo”. Houla non, toi, tu t’es trompé de bonhomme (rires). En revanche, quand on discute, qu’on se serre la main et qu’on finit par me demander une photo, c’est toujours un immense plaisir.

Bakkies Botha s’autorise-t-il parfois à pleurer ?

Il y a une grande place dans mon coeur qui est réservée au partage, aux gens qui connaissen­t des difficulté­s. Il ne faut jamais perdre

son humanité. Ce n’est pas parce que tu as remporté trois Champions Cup que tu es une meilleure personne que mon voisin. Je suis très sensible. Et quand je vois des gens en difficulté, ça me serre le coeur, et il m’arrive de sentir que mes larmes commencent à couler. Je n’aime pas ce sentiment d’impuissanc­e…

C’est-à-dire ?

J’ai compris avec les années qu’il était impossible de changer le monde. Alors tu peux t’investir sur un petit territoire, essayer d’apporter du soutien, mais c’est terrible de comprendre que tu ne peux pas apporter le bonheur à tout le monde… Je suis très sensible aux gens qui souffrent, et j’essaye d’apprendre à mes enfants à avoir un grand coeur.

Pour conclure sur une note moins sérieuse, nous aimerions vérifier un mythe. Est-ce vrai qu’une fois vous aviez ramené des sangliers à l’entraîneme­nt ?

Pas qu’une fois (rires). J’ai rencontré plusieurs chasseurs varois, et on passait des journées à chasser le sanglier. C’est ma plus grande passion, ma façon de m’évader. Alors le matin, avant l’entraîneme­nt, j’aimais prendre mon fusil et aller me balader dans la forêt. J’allais chercher quelques sangliers à l’aube, ça me détendait. Ensuite, je les mettais dans mon pickup, puis j’arrivais à Berg, j’enlevais les bouteilles du frigo et j’y mettais mes sangliers. Et après l’entraîneme­nt, je les reprenais et j’allais les découper à la maison.

Pour un chasseur, le Var est-il un bon terrain de jeu ?

L’un des tout meilleurs du monde. Ici, on se mettait sur une sorte de plateforme en hauteur, un mec faisait courir ses chiens avec une corne (il imite le bruit) et là, les énormes sangliers débarquaie­nt. Nous, on était là, prêts, et on tirait (rires). Je me suis lié d’amitié avec des chasseurs. On passait des journées à raconter des histoires, à boire des pastis, à parler du RCT. C’était génial.

Est-ce vrai que vous n’avez

pas célébré le titre 2013... pour aller chasser ?

Bien sûr. Je n’aime pas beaucoup les célébratio­ns… J’ai toujours considéré qu’une fois que j’ai fait mon boulot, c’est terminé. Alors on a gagné la coupe, on s’est félicité, mais je n’aime pas beaucoup faire le tour de la ville dans un bus et que tout le monde nous adule. Moi, je préfère être avec des chasseurs, assis sur un arbre, à dire des blagues, à boire un petit pastis et à chasser des sangliers. C’est là que je me sens le plus heureux. Je suis humble, et je préfère être dans le bush, à l’abri des regards.

C’est la deuxième fois que vous évoquez le pastis… En buvez-vous toujours ?

Oui, j’ai trouvé un tout petit magasin à Johannesbu­rg qui en vend, alors j’en bois souvent. En revanche, en France, les mecs sont fous, ils les remplissen­t à fond. Moi, je les fais très légers, pour le goût (rires).

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