Var-Matin (Grand Toulon)

« À Port-Cros, la vie marine est d’une exubérance stupéfiant­e »

L’associatio­n Longitude 181 organise deux conférence­s le 12 mars à Toulon. Son président, François Sarano, revient sur son parcours et les combats à mener pour préserver la biodiversi­té marine.

- PROPOS RECUEILLIS PAR CAMILLE ROLLINAT

À70 ans François Sarano a parcouru les eaux du globe en long, en large et en travers. Et il n’est pas près de s’arrêter. Il sera présent le 12 mars au théâtre Liberté à Toulon avec son associatio­n Longitude 181 pour deux conférence­s en compagnie de Camille Étienne, militante écologiste, et Roland Jourdain, navigateur. Ils reviendron­t sur « l’expédition cachalot » menée en Méditerran­ée à bord du WeExplore, et des menaces qui pèsent sur la biodiversi­té marine.

Pouvez-vous nous rappeler brièvement votre parcours ?

J’ai un doctorat d’océanograp­hie passé en 1983. J’ai travaillé 13 ans sur la Calypso avec le commandant Cousteau, comme scientifiq­ue et plongeur. Avec mon épouse, Véronique, qui a aussi un doctorat en océanograp­hie, on a lancé en 2002 l’associatio­n Longitude 181, la voix de l’océan, qui oeuvre pour préserver la vie marine. J’ai aussi travaillé sur le film Océan de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud, et puis j’ai coécrit avec mon épouse une quinzaine d’ouvrages. Tout ce que nous faisons sur les cachalots en Méditerran­ée et sur l’Île Maurice depuis un peu plus de 10 ans, et l’associatio­n, c’est pour essayer de mieux préserver l’ensemble des créatures marines qui pour la plupart aujourd’hui n’ont pas de statut. On parle beaucoup des créatures marines qui ont une valeur, un intérêt financier, les autres n’ont aucun statut.

C’est ce que vous appelez « le droit des océans » ?

Il s’agit du droit d’existence des créatures marines. Typiquemen­t, quel statut a l’étoile de mer ? Quand un chalut remonte sur le bateau, il va tout déverser :

1re catégorie, les espèces cibles ; 2e catégorie les espèces dites accessoire­s qui correspond­ent aux « dégâts collatérau­x » ; et il y a le reste : les crabes, les coquillage­s, qui sont considérés comme de la boue. Tant qu’on ne donnera pas un droit d’existence, un statut à ces espèces, on ne pourra pas les préserver. On travaille aussi beaucoup sur les

réserves marines. Dans 90 % des réserves marines françaises on prélève, donc ça n’a aucun sens. C’est dû à la volonté de la France de revendique­r des surfaces considérab­les de réserves, mais la réalité des choses veut que le lobby de la pêche soit suffisamme­nt puissant pour s’imposer. Il faut que ça change ! Soit la France accepte de dire qu’elle n’a pas suffisamme­nt de véritables réserves marines, soit elle accepte qu’elles soient réellement protégées.

C’est le message de vos conférence­s ?

La conférence que nous allons faire avec Camille Étienne et Roland Jourdain rendra compte en grande partie des recherches que nous avons faites sur les cachalots de Méditerran­ée. Longitude 181 a déjà mené plusieurs expédition­s pour définir des zones de protection. Les grands cétacés sont menacés par les bateaux de commerce, de croisière, les ferries : c’est la

1re cause de mortalité non naturelle. Plus de 10 % des animaux observés présentent des traces de collision ou de blessures très profondes causées par les bateaux. On souhaite proposer des zones dans lesquelles la vitesse des bateaux serait limitée en dessous de 10 noeuds. La France, l’Italie et Monaco ont défini le triangle Pelagos, on appelle ça un sanctuaire mais dans les faits il n’en est rien. Nous allons raconter l’expédition, montrer des images, parler de la vie des cachalots, mais toute cette connaissan­ce nous essayons de la mettre au service d’une relation plus harmonieus­e avec l’ordre du vivant.

Pourquoi étudier en particulie­r les cachalots ?

La présence des grands animaux est toujours un indicateur de bonne santé car ils ont besoin pour vivre que l’ensemble de la vie dont ils dépendent soit solide. Cette espèce est très fragile car sa reproducti­on est lente et faible. Ils ont failli disparaîtr­e parce que la chasse industriel­le les avait massacrés. Grâce à son arrêt, ils semblent sortis du danger critique d’extinction. Cela montre

que lorsque l’on prend de bonnes mesures, on peut voir la vie revenir même lorsqu’elle est fragile. À Port-Cros, la vie marine est d’une exubérance stupéfiant­e, car il y a des zones où on ne prélève pas ou très peu, c’est très contrôlé. C’est un formidable indicateur de la richesse qui peut se développer en Méditerran­ée, et surtout de ce qu’elle pourrait être demain. Les réserves marines sont nos partenaire­s face aux changement­s climatique­s. Elles sont notre phare dans cette tempête.

Preuve que des mesures concrètes fonctionne­nt…

C’est une preuve éblouissan­te. On dit souvent « les réserves montrent la Méditerran­ée d’autrefois » : pas du tout ! Ça montre la richesse d’aujourd’hui et de demain. La pêche de loisir fait aussi des dégâts considérab­les, parce qu’il n’y a aucun contrôle : chacun prélève peu, mais c’est en million ! Quand on parle d’un écosystème, il ne faut pas imaginer que c’est une collection d’espèces juxtaposée­s, c’est un tissu de relations. Plus elles sont variées plus la toile du vivant est solide. Ce qui caractéris­e notre exploitati­on du monde c’est la suppressio­n de tous les individus âgés, et ils ne sont plus jamais remplacés car notre rythme d’exploitati­on ne les laisse jamais vieillir. Pour qu’il y ait des posidonies, il faut des milliers d’années, et c’est un lieu essentiel au développem­ent de la vie. Les vivants ont coévolué depuis 3 milliards et demi d’années, on est tous liés : quand on touche une espèce, on touche plus ou moins fortement toutes les espèces vivantes.

Les grands cétacés sont menacés par les bateaux”

Les réserves marines sont notre phare”

Vous travaillez sur ce sujet depuis longtemps, comment considérez-vous l’évolution des choses ?

Je plonge depuis 1968, je suis témoin de l’évolution la vie marine. J’ai vu le pire comme la disparitio­n des requins, la pollution ; et le meilleur : le développem­ent de la vie marine sans prélèvemen­t, le retour des cachalots. Quand j’étais sur la Calypso dans les années quatreving­t on ne pouvait pas les voir, aujourd’hui ils sont revenus. Quand on prend de bonnes mesures ça fonctionne. Ce qui me désole c’est qu’on n’a pas encore compris que les vivants n’étaient pas contre nous, des encombrant­s, des ressources, mais nos alliés, nos partenaire­s, pour mieux vivre sur cette planète. Et nous leur faisons une guerre sans merci… Nos politiques ne comprennen­t pas tout l’intérêt que nous aurions à signer un pacte de paix avec nos partenaire­s, ils vont nous aider dans ce grand changement climatique dont nous sommes la cause. Il y a urgence. Il va y avoir la conférence des Nations unies sur l’océan (UNO) à Nice en 2025, il faut agir maintenant, ça ne doit pas être un combat que l’on lègue à nos enfants : c’est maintenant.

Longitude 181, le 12 mars au théâtre Liberté de Toulon, entrée gratuite sur réservatio­n :

14 h 30 : « Expédition cachalot » https://www.chateauval­lonliberte.fr/evenement/retour-sur-lexpeditio­ncachalots/

20 h 30 : « Biodiversi­té marine, l’urgence absolue https://www.chateauval­lonliberte.fr/evenement/biodiversi­te-marine-lurgenceab­solue/

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(Photo DR/Véronique Sarano/Longitude 181) François Sarano est plongeur océanograp­he, il a notamment travaillé avec le commandant Cousteau.

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