Var-Matin (Grand Toulon)

L’histoire

- CÉDRIC COPPOLA ccoppola@nicematin.fr

Mathieu (Guillaume Canet) habite Paris, Alice (Alba Rohrwacher) vit dans une petite cité balnéaire dans l’ouest de la France. Il caresse la cinquantai­ne, c’est un acteur connu. Elle a dépassé la quarantain­e, elle est professeur­e de piano. Ils se sont aimés il y a une quinzaine d’années. Puis séparés. Depuis, le temps est passé, chacun a suivi sa route et les plaies se sont refermées peu à peu. Quand Mathieu vient diluer sa mélancolie dans les bains à remous d’une thalasso, il retrouve Alice par hasard…

Une Vie’’ donnait l’impression d’être un documentai­re sur le XIXe siècle, votre trilogie ‘‘La Loi du marché’’, ‘‘En Guerre’’, ‘‘Un autre monde’’ s’inscrivait dans une mouvance sociale. Cette fois, dans ‘‘Hors saison’’, vous faites interpréte­r à Guillaume Canet un acteur renommé. De quelle manière dosez-vous le rapport entre la réalité et la fiction ?

En ce qui concerne les acteurs, j’utilise la fiction. Elle est d’ailleurs un documentai­re sur eux, et je ne peux pas filmer autre chose que ce qu’ils sont. Au cours d’une interview, le réalisateu­r Sydney Pollack disait que si on voulait filmer un mec généreux et sympa, il ne fallait pas engager Robert De Niro ! Il cite donc l’un des plus grands acteurs au monde et admet que si on veut construire un personnage gentil ou aimable, celui-ci ne servira pas le film… Cela ne signifie pas que De Niro n’a aucune douceur, mais ce n’est pas ce qui émane de lui. À charge donc d’un metteur en scène de la révéler… Le but est de trouver la bonne équation entre une dramaturgi­e et la nature de la personne.

L’idée de faire appel à Guillaume Canet s’est donc rapidement imposée ? Confier un rôle à un acteur, c’est avoir une intuition sur ce qu’il est. Guillaume, j’ai voulu saisir sa mélancolie naturelle, que je ressens très fortement ainsi que les outils qu’il met en place pour la masquer. Il y a chez lui un mélange de gravité, de charme et de joie. C’est bouleversa­nt. Une impression que j’ai eue en regardant ses films, mais aussi des interviews, où beaucoup de choses se passent, se disent… Ensuite, il était nécessaire que je puisse projeter une part de moi en lui, puisque les questions qu’il se pose dans le film sont des interrogat­ions humaines qui me traversent et concernent tout un chacun.

De quelle manière dirigez-vous les acteurs ?

Le dispositif a évolué au fil du temps. Par exemple, selon le nombre de caméras que j’utilise, la méthode change. J’essaie aussi d’adapter l’outil technique en fonction des acteurs, même si en règle générale, je m’efforce de choisir des gens qui vont être à l’aise avec ma façon de faire et que les grands artistes s’adaptent. Alba Rohrwacher, pour ne citer qu’elle, se greffe aussi bien au procédé de Nanni Moretti qui est à la virgule près, qu’à Marco Bellocchio ou à moi, qui laisse un petit espace de liberté aux comédiens. C’est très écrit, mais ils peuvent parfois utiliser leurs propres mots.

Certains passages sont très drôles. Comment est venue l’envie de comédie ? L’idée que se font les gens de cet acteur, de sa notoriété contraste avec l’état d’abattement total dans lequel il se trouve. Cela crée un décalage dans les situations et provoque un humour un peu Kaurismaki­en, voire Tatiesque, déjà présent, de manière embryonnai­re, dans ‘‘Je ne suis pas là pour être aimé’’ et ‘‘Le Bleu des villes’’. La différence par rapport à mes films précédents est que je m’autorise à aller vers ça… Peut-être que par le passé, je pensais qu’être drôle m’aurait fait passer pour moins intelligen­t ? C’est possible… En tout cas, c’est dommage de s’en priver. Après tout, le génie de Woody Allen est d’avoir réussi à raconter des histoires douloureus­es et très sombres sur le couple en faisant marrer !

Le synopsis mentionne que le hasard réunit à nouveau ces deux êtres. Mais croyez-vous vraiment à cette notion ?

Un film de Michael Haneke s’appelle ‘‘71 fragments d’une chronologi­e du hasard’’ et ce titre résume mon rapport au monde… En l’occurrence que le hasard serait une constructi­on dans laquelle nous intervenon­s inconsciem­ment. La peur de ne pas maîtriser les choses nous ferait alors construire une hypothèse où on serait un peu responsabl­e de ce qui nous arrive. Dans ‘‘Hors Saison’’, cet homme et cette femme arrivent à la fin d’une logique qu’ils avaient mise en place il y a quinze ans, lors leur séparation. Sans doute que si elle avait appris plus tôt qu’il était revenu dans la même ville, elle ne l’aurait pas contacté ou alors, il n’aurait pas donné suite. En tout cas, ils n’auraient pas été synchrones. Là, c’est le cas… C’est troublant, comme si Dieu avait jeté les dés ou voyagé incognito comme le dit l’expression.

Vous citez Jacques Tati, Aki Kaurismäki, Woody Allen, Michael Haneke… Le film renvoie aussi à Claude Lelouch. Une autre référence assumée ?

Je cohabite avec ces artistes qui euxmêmes cohabitent avec d’autres. Ce que l’on construit sort de notre propre histoire. L’endroit où on a grandi, les films qu’on a vus, qui nous ont touchés, construits, les livres et les chansons que l’on a appréciés… Tout cela influe. Il y a effectivem­ent une frontalité du cinéma de Michael Haneke avec lequel je me sens en communion. Pour autant, nous ne sommes pas au même endroit du monde. Sa manière de saisir notre humanité à travers la fragilité me touche… L’acuité de Claude Lelouch aussi… C’est en moi, je n’y pense pas lors du processus créatif.

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