Var-Matin (Grand Toulon)

Nice, « une ville qui Rayonne et résonne »

Pour la première fois de son histoire, le Tour de France, qui s’élancera dans 100 jours, ne se terminera pas à Paris mais à Nice. Le directeur de la Grande Boucle, Christian Prudhomme, est venu à la rencontre de nos lecteurs.

- Rencontre animée par Christophe­r ROUX et Romain LARONCHE

Il pourrait parler de cyclisme et du Tour pendant des heures. Christian Prudhomme, ancien journalist­e devenu patron de la plus grande course au monde depuis 2007, est intarissab­le sur le sujet. Ce qu’ont pu constater neuf de nos lecteurs sélectionn­és pour un échange d’une heure avec l’homme le plus sollicité en juillet. À 100 jours du départ du Tour de France (le 29 juin, depuis Florence, en Italie), qui ne se terminera pas sur les Champs-Elysées mais sur la Promenade des Anglais, le compte à rebours est lancé.

Depuis quand saviez-vous que Paris ne pourrait pas accueillir l’étape finale du Tour et quel a été le processus pour décider que Nice serait choisie ?

C’est très simple, on n’a pas attendu que les autorités nous disent : “Vous ne pourrez pas arriver à Paris.” On s’en doutait un peu parce que le Tour de France, ce sont 28 000 gendarmes, pompiers et policiers qui sont mobilisés sur l’ensemble de la course. Les Jeux, c’est une chance pour la France. Mais on sait très bien que cela va mobiliser la police au maximum. Et il se trouve que grâce à Paris-Nice, on a des contacts avec le maire de Nice, Christian Estrosi. On avait déjeuné ensemble je crois en décembre 2018. Et on lui avait dit : « Et si d’aventure on ne peut pas arriver à Paris, est-ce qu’on pourra arriver à Nice ? » Paris et les Champs-Élysées, c’est énorme. L’audience des Champs, même s’il n’y a qu’un sprint final, c’est l’une des plus fortes du Tour parce que c’est Paris et ce sont les champions qui arrivent. On ne quitte pas Paris comme ça. Il nous fallait une ville qui rayonne et résonne dans le monde entier. C’est le cas de Nice et la Côte d’Azur. Donc on avait largement anticipé et heureuseme­nt... Mais ça a été aussi une évidence parce qu’on pouvait faire entrer du sport à haute dose. La Bonette à 48 heures de l’arrivée, la Couillole qui est un col très sélectif la veille et le chrono Monaco-Nice. Je le vois vraiment comme une chance. Et puis, au Tour de France, le décor est capital. Il joue un rôle considérab­le. Et Nice et la Côte d’Azur, c’est beau.

Est-ce que le Tour pourrait favoriser l’internatio­nalisation du peloton, avec des équipes africaines ou asiatiques ?

Alors, c’est l’UCI (Union cycliste internatio­nale) qui l’a décidé mais les Mondiaux 2025 auront lieu au Rwanda. Ce seront les premiers championna­ts du monde en Afrique. C’est un élément important. Le centre mondial du cyclisme est à

‘‘ Aigle en Suisse – centre de formation pour les cyclistes venus du monde entier. Biniam Girmay, l’Erythréen, en sort par exemple. Après, il y a un vrai défi du cyclisme d’aujourd’hui. On entend dire « Cycling is the new golf » (« Le cyclisme est le nouveau golf », un sport, à la base, pas à la portée de toutes les bourses, ndlr). Mais le cyclisme doit rester éminemment

populaire. J’ai fait une interview pour France Bleu et la journalist­e me demande si l’arrivée du Tour de France sera gratuite pour les gens. Bien sûr parce que la force principale du vélo, c’est que c’est gratuit. Et j’ai parfaiteme­nt compris la question qu’elle me posait parce qu’il y a une dizaine d’années, Oleg Tinkov, le milliardai­re qui avait une équipe cycliste, voulait qu’on fasse payer les gens au bord de la route. Cela ne m’a pas surpris aux yeux de Tinkov. Mais si on demandait quelques centimes ou 1 euro aux gens au bord de la route, c’est la négation même du cyclisme sur route. Ce n’est juste pas envisageab­le.

Certains cols sont difficiles d’accès

pour le public qui a peur de se voir de plus en plus interdit d’y accéder...

C’est la rançon du succès. En effet, notamment l’été dernier, on était plusieurs fois en difficulté tant il y avait de monde. Sur le dernier Tour de France, plus du quart des gens venaient sur le bord de la route pour la première fois. Là-dedans, il y avait une majorité de femmes. Ce qui est très bien. Mais beaucoup de jeunes sont encore plus enthousias­tes que les gens d’expérience de mon âge. Donc quand les coureurs passent, ça peut être compliqué à certains moments. Mais le Tour, c’est populaire et ça doit le rester, donc il faut que les gens viennent. Après, il faut qu’il y ait une course. On est toujours en équilibre et c’est le principe même du vélo (rire).

Les cordelette­s pour sécuriser le bord des routes sont-elles efficaces ?

Oui, à condition que les gens les respectent. Ça, on en mettra beaucoup plus cette année. Le public change sans arrêt. Les cordelette­s, ce n’est pas nouveau. Simplement, les gens pensent qu’ils les découvrent parce que d’ordinaire ils passent devant ou les retirent. Mais je crois qu’on aura 35 km de cordes contre 6 ou 7 l’an dernier. En revanche, il y a des endroits où, depuis longtemps, et je pense aux lacets de Montvernie­r au-dessus de Saint-Jean-deMaurienn­e qui sont absolument magnifique­s, il ne faut pas qu’il y ait du public. Autrement, ça ne

Le cyclisme doit rester populaire ”

passe pas. C’est-à-dire que là où il peut y avoir un aspect sportif et/ou esthétique, on ne va pas dire, “on ne passera pas” au seul motif que le public ne pourra pas être là sur 3 km. Le public doit être là sur tout le Tour mais si c’est 3 km sur 3 500 km, et qu’on peut aller quelque part avec des champions, on y va. Je prends un autre exemple qui est le mur de Péguère, en Ariège. Il avait la spécificit­é d’avoir été inscrit au parcours du Tour en 1973 et jamais emprunté parce que Luis Ocana avait peur de la descente. On le met au parcours du Tour en 2012. Et donc on va chercher des pentes raides pour qu’il y ait une sélection. Il y a tellement de monde que ces pentes raides ne servent plus à rien parce que de part et d’autre il y a des gens. Devant, il y a la moto du direct télé et la moto presse pour les photograph­es. On refait ce mur de Péguère 5 ans après. Le

14 juillet 2017, une étape 100 % en Ariège et c’est là, dans cette ascension, que Barguil arrive à revenir avec Quintana et qu’il va gagner l’étape derrière. Et là, on avait interdit le public. S’il y avait eu du public, Barguil ne serait jamais revenu. Après, c’est la rançon du succès, c’est formidable. Comme les montées de l’Alpe d’Huez, qui sont merveilleu­ses.

Et au Puy-de-Dôme l’an passé ?

Le Puy-de-Dôme, il n’y avait personne mais parce qu’on a respecté notre parole et je pense que c’est bien de respecter sa parole en toutes circonstan­ces. Comme la chaîne des Puy est inscrite au patrimoine mondial de l’Unesco, ils avaient peur que des milliers de pas foulent et abîment le site. On n’a pas du tout envie d’abîmer la France : le Tour de France se nourrit de ses beautés.

Et comme le public a changé, c’est délicat ?

Oui, et puis ça dépend de l’heure de passage. Si c’est à 9 h, à midi, à 17 heures, avec les fûts de bières, ce sont les mêmes et ce ne sont plus les mêmes. Il n’y a que des gentils, seulement ils ne font pas attention.

Vos souvenirs du Tour ? Vous avez quand même une grande culture du cyclisme...

Je n’ai pas une grande culture, c’est juste que j’aime viscéralem­ent le Tour. C’est toujours ce qui est étonnant avec les gens. Ils vous disent “vous savez ça” mais je n’ai rien appris du tout. Simplement, j’aime ça, comme un gamin qui voit jouer Mbappé et qui connaît tous les noms des joueurs. Il ne fait aucun effort et je n’ai fait aucun effort pour me souvenir. Je le sais simplement parce que j’ai toujours aimé ça. Mon tout premier souvenir, c’est Jan Janssen quand il gagne le Tour 1968. Je n’ai pas suivi le Tour 68, la chute de Raymond Poulidor, je l’apprends après, je ne le sais pas à ce moment-là. En revanche, en 1968, j’ai 7 ans et je vois la télé en noir et blanc chez mes parents. Et je vois un gars avec des lunettes happé par la foule. Je vois des photograph­es et j’apprends après que c’est Jan Janssen. Donc j’ai suivi le Tour avec passion à partir de 69. Si vous voulez savoir quel était l’écart entre Luis Ocana et Lucien Van Impe à Orcières Merlette en 1971, c’est 5’52” et le troisième est à 8’42” et il s’appelle Eddy Merckx. Mais je vous confirme qu’il y a des trous dans la raquette aussi (rire).

Certains coureurs ne sont là que pour le Tour et d’autres courent toute l’année. Votre avis ?

Ça n’est plus vrai, ça l’était il y a quatre ou cinq ans. La chance qu’on a aujourd’hui, c’est qu’ils sont là en mars et ils sont là en octobre. C’est comme à l’époque d’Eddy Merckx, qui ne gagnait pas tout le temps mais quasiment. Bernard Thévenet, Luis Ocana, on les voyait toute la saison et on a retrouvé ça. Ce qui est formidable. De spécialist­es, on est revenu à des polyvalent­s. J’adore ça. Pogacar est partout, Van Aert ou Van der Poel jouent un rôle, quoi qu’il en soit, dans la course à étapes aussi.

On a la chance d’avoir cette génération qui ne s’intéresse pas qu’au vélo en juin ou en juillet. Ils veulent tout gagner et marquer l’histoire.

Sur quels critères sélectionn­ezvous une ville pour recevoir un départ ou une arrivée du Tour ?

Alors on a la chance d’avoir 300 candidatur­es pour une trentaine de places. Après, le Tour est un puzzle. C’est-à-dire que si vous arrivez ou partez d’un endroit, il faut le voir au regard de l’étape de la veille et de celle du lendemain. Il y a les contrainte­s de l’UCI, les distances, l’hébergemen­t, etc. Parfois on nous dit, “ils arrivent dans une ville et repartent dans une autre parce qu’ils prennent plus d’argent”.

Non, c’est exactement le même prix. C’est pour des raisons d’hébergemen­t. Il y a très peu d’endroits où l’on peut héberger tout le monde à la même place. Parce qu’il n’y a pas assez d’hôtels. Et pour avoir une équipe cycliste, il faut des hôtels où ce n’est pas tant le nombre de chambres qui comptent, mais le parking. Il y a le bus des équipes, un ou deux camions atelier, le camion de cantine, les autres voitures. Quand nous sommes en ville, c’est compliqué aussi. En 2013, on arrivait à Lyon et on repartait dans la banlieue de Lyon. J’étais persuadé que les 22 équipes allaient être logées à Lyon. Mais il n’y en avait que 2. Parce que quand on est en ville, pour que le bus d’équipe, le ou les camions atelier, le camion de cantine se garent, cela veut dire que la rue est fermée. Cela veut dire que nous sommes obligés de demander au maire de fermer une rue. Il en ferme une, puis deux, et après il arrête les frais ce qui est assez logique (sourire).

Cette année, il y aura deux chronos (Nuits-Saint-Georges – Gevrey-Chambertin 25,3 km lors de la étape et Monaco-Nice, 35 km, le dernier jour) : n’est-ce pas trop ?

7e

Il y a 60 km de contre-la-montre sur 3 500 km. On peut faire zéro kilomètre bien sûr, on a fait

14 km une année, mais il y a beaucoup moins de chronos que par le passé. Cette année, les chronos reviennent plus forts parce qu’il y a Monaco-Nice pour finir. Oui, on en fait deux, mais ce n’est rien par rapport à il y a dix ou vingt ans. Monaco-Nice, ce sera avec 700 m de dénivelé, la montée de La Turbie, Eze, dans un décor magnifique. Et ce sera le premier chrono le dernier jour depuis 1989, lorsque Greg LeMond avait battu Laurent Fignon pour 8 secondes à l’arrivée.

Le plus faible écart de toute l’histoire du Tour ! On n’en demande pas tant le 21 juillet, mais s’il y a neuf secondes, on prendra ! J’espère que ce contrela-montre décidera le Tour de France et ajoutera un aspect particulie­r à cette dernière étape.

Les champions d’aujourd’hui veulent tout gagner ”

 ?? (Photo François Vignola) ?? Au lendemain de l’arrivée de Paris-Nice, Christian Prudhomme a rencontré, dans nos locaux, neuf de nos lecteurs pour un échange d’une heure.
(Photo François Vignola) Au lendemain de l’arrivée de Paris-Nice, Christian Prudhomme a rencontré, dans nos locaux, neuf de nos lecteurs pour un échange d’une heure.
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 ?? (Photo d’archives Richard Ray) ?? Le Tour de France est déjà passé par Nice, comme ici, sur la Promenade des Anglais, dimanche 5 juillet 2009, lors de la 2e étape, Monaco-Brignoles.
(Photo d’archives Richard Ray) Le Tour de France est déjà passé par Nice, comme ici, sur la Promenade des Anglais, dimanche 5 juillet 2009, lors de la 2e étape, Monaco-Brignoles.

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