Var-Matin (La Seyne / Sanary)

L’humoriste qui a décapé la Ve

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Le premier sketch de Coluche explose au visage de la France comme un seau de glace jeté sans ménagement sur le minois apaisé de La Belle au bois dormant .La France d’après 69, c’est Aurore bercée par les Compagnons de la chanson, à peine titillée par les impertinen­ces potaches mais bon enfant de Francis Blanche ou de Pierre Repp. Les plus perfides, Les Frères Jacques, dénoncent les ravages de l’argent dans Le Fric. Le 28 septembre 1973, Fernand Raynaud s’éteint à 47 ans. Les douaniers soufflent… Mai 1974, c’est l’histoire d’un mec qui déboule avec grossièret­é dans le PAF. Nez rougi, regard tendre mais cerclé d’acier, pull jaune et salopette rayée. Brodequins poussin chaussés, il saute à pied joint sur la Ve ! Un ovni dans l’Hexagone qui pleure déjà Pompidou et se prépare à voter Giscard. Au départ, incrédule, la foule se presse pour l’écouter. Très vite, les Français se divisent. Puis se déchirent. «Comment peut-on accepter autant d’outrecuida­nce à la télévision publique?», entend-on dans les micros-trottoirs réalisés sur l’ORTF. Et puis, le mec enfile les bons mots comme des perles. Il dénonce à la sulfateuse. Il décape une République dont le vernis d’une bienveilla­nce de façade ne leurre plus personne. Une à une, toutes les institutio­ns y passent. C’est comme au ball-trap. L’humoriste sarcastiqu­e et cynique, parfois bête et méchant, fait mouche à tous les coups. Coluche devient la coqueluche des jeunes. La colère des seniors. On l’adore à gauche. Il affole à droite. Ses cibles ne résistent pas à cet assaut mené au canon. Les syndicats, la police, la gendarmeri­e, le sport, les anciens combattant­s, les jeunes, les auto-stoppeurs, les chômeurs, les blousons noirs, la télévision, les jeux, le rock, le cancer, l’armée, la publicité, les hommes politiques, les cultes… Le ciment de la République est pulvérisé. La pensée unique est atomisée et dispersée façon puzzle aux six coins de l’Hexagone. Aux mots, Coluche ajoute les gestes et les images. Le bras d’honneur se porte en étendard sur la scène du Gymnase où il triomphera durant plus de 18 mois. Il profère les pires horreurs pour secouer une société qu’il considère trop engoncée dans ses certitudes et trop corsetée par quelques-uns au motif qu’ils possèdent des privilèges. Même les chansons sont prétexte à dénoncer l’insupporta­ble injustice qui maintient les pauvres dans la marge et les riches en marche. Comment expliquer qu’en ridiculisa­nt autant de personnes, de catégories différente­s avec une méthode aussi performant­e, il a pu, finalement réunir autant de Français. Dans les années 83 à 86, chacun de ses passages à la télévision est un événement. Et ses fans deviennent, avec le temps, plus nombreux que ses détracteur­s. Dans les six derniers mois de sa vie, il continuera de choquer mais plus étonnant encore, il surprendra! Notamment en se tournant vers l’abbé Pierre ou en réunissant autour de lui l’ensemble de la classe politique pour édifier le premier Restaurant du coeur. Le clown de la République est devenu un homme unanimemen­t respecté. Chapeau bas.

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