Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le témoignage qui relance la polémique

Le « bras de fer » entre la Ville de Nice et le gouverneme­nt a pris une nouvelle dimension, hier, avec les accusation­s d’une fonctionna­ire azuréenne. Bernard Cazeneuve a riposté, le soir, au 20 h

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D’un côté, «les manoeuvres de basse politique» .De l’autre, les « mensonges d’État». D’un côté, le ministre de l’Intérieur, Bernard Cazeneuve. Le premier flic de France aurait failli à sa mission : celle de protéger les Niçois. De l’autre, Christian Estrosi qui, très vite, trop vite, s’empresse de dénoncer un dispositif de sécurité qui, ce 14 juillet 2016 sur la Promenade des Anglais, n’était pas à la hauteur de la menace qui pèse sur la France et donc sur la capitale azuréenne. L’ancien maire de Nice l’a dit dès le lendemain de l’attentat : pour lui, il n’y avait pas assez de policiers nationaux ce soir-là. Et en affirmant le contraire, l’État se serait rendu coupable de parjure. Un « mensonge d’État » qu’il aurait fallu camoufler au plus vite… En effaçant les images de vidéosurve­illance saisies par les enquêteurs pour qu’elles ne tombent pas entre de mauvaises mains ? Procédure classique, a déjà répondu le procureur de la République de Paris. En demandant à une policière municipale niçoise de mentionner dans son rapport la présence d’effectifs de la police nationale qu’elle n’avait pourtant pas vus? Cette fois, c’est le ministre de l’Intérieur en personne qui a dû se rendre sur le plateau du 20 heures de France 2, hier soir, pour démentir toute forme de « pressions ». Sandra Bertin, la responsabl­e du centre de supervisio­n urbain (CSU) de la ville, affirme pourtant en avoir reçu.

« J’ai été harcelée »

«Je ne suis pas une menteuse, martèle la policière municipale niçoise. J’ai été littéralem­ent harcelée ce jour-là.» C’était le 15 juillet, au lendemain de la terrible attaque qui a endeuillé Nice. Dans l’après-midi, un commissair­e de la police nationale se présente au centre de supervisio­n qui gère les 1300 caméras de la ville. «On m’a demandé de faire un rapport détaillé de ce qu’on voyait aux caméras et de le découper en séquences de 10 secondes. On m’a aussi demandé de mentionner la présence des différents effectifs de la police, municipale et nationale, présents ce soir-là», explique Sandra Bertin, qui déclare s’être immédiatem­ent enquis de l’origine de cette demande. «On m’a dit que ça venait du cabinet du ministère», affirme la policière qui précise : « Le commissair­e de police m’a alors passé un téléphone de service.» Au bout du fil une voix féminine confirme l’injonction. La fonctionna­ire municipale niçoise s’exécute tout précisant: « J’ai clairement dit que je n’écrirai que ce que j’avais vu.» Elle commence donc à taper son rapport. «Ça a duré entre une heure et une heure et demie.» Trop longtemps manifestem­ent : «Le téléphone portable de service sonnait toutes les cinq minutes. Il fallait que je me dépêche, c’était important. On m’a même demandé d’envoyer des morceaux de mon rapport au fur à mesure que je l’écrivais. » Elle s’y refuse. Tout comme elle se refuse de travestir la réalité des images de vidéosurve­illance qu’elle visionne: «On m’a demandé de modifier certains paragraphe­s, de faire apparaître la présence de policiers nationaux à certains endroits, assure la policière niçoise. Je ne dis pas qu’ils n’y étaient pas. Je dis juste qu’aux caméras, on ne les voit pas.» Sandra Bertin ne veut donc pas obtempérer, même lorsque le commandant de police, qui est venu relayer le premier commissair­e, lui dit qu’il s’agit «d’une réquisitio­n» et qu’elle doit donc «faire ce qu’on lui dit» .« J’ai alors éteint mon ordinateur et j’ai raccompagn­é ce monsieur à l’ascenseur », conclut la fonctionna­ire municipale.

« Je n’ai demandé aucun rapport »

Un récit que le ministre de l’Intérieur a donc pris la peine de réfuter en personne. «Je n’ai demandé aucun rapport», a balayé Bernard Cazeneuve qui, plus tôt dans la journée, avait annoncé qu’il déposait plainte pour diffamatio­n contre la policière niçoise. «La justice établira la vérité que, pour ma part, je connais déjà, a assuré le ministre qui, au JT de France 2, a invité son accusatric­e à «livrer le nom» de ce mystérieux membre du ministère de l’Intérieur avec qui elle aurait été en contact afin de sortir «rapidement de cette ambiguïté» . La jeune femme s’y est refusée hier. Elle le «réserve à la justice». Parce qu’il y aura « forcément une enquête». Pour autant l’IGPN, la police des polices saisie après les premières accusation­s de défaillanc­e, ne s’est pas encore manifestée pour l’entendre. Du coup l’avocat de la policière niçoise, Me Adrien Verrier, annonce qu’il va prendre les devant en déposant «dès lundi un article 40 pour que la justice se saisisse de cette affaire». En attendant, c’est donc la parole d’un membre du gouverneme­nt contre celle d’une simple fonctionna­ire niçoise. Même si Bernard Cazeneuve ne peut s’empêcher de voir l’ombre de ces « oiseaux de proie qui tournent autour de 84 victimes». Après avoir très vite réfuté toute forme de pression, le ministre de l’Intérieur s’est employé à dénoncer les « vilenies et calomnies » dont il est la cible : «Cela fait dix jours que nous sommes quasi quotidienn­ement confrontés à des attaques et des mensonges de la part d’élus locaux.» Christian Estrosi n’est pas cité, mais bel et bien visé par un ministre de l’Intérieur qui estime que «ça suffit!» Dans l’entourage de l’ancien maire de Nice on assure avoir « découvert » les déclaratio­ns de la responsabl­e du CSU dans le JDD, journal dans lequel Sandra Bertin s’est exprimée pour la première fois. Elle refuse d’en dire davantage sur les circonstan­ces de cet entretien. Tout comme la policière niçoise élude lorsqu’on lui demande si elle a reçu l’aval de l’ancien maire de Nice. «Au-delà du soutien de Christian Estrosi, c’est celui de la population et celui de toutes les polices municipale­s de France. » Car, affirme-t-elle, si elle s’est amendée de son devoir de réserve, c’est « pour les victimes» et pour « défendre » ses «collègues injustemen­t attaqués ces derniers jours » : «Ilyaunmome­nt il faut savoir prendre ses responsabi­lités». Elle invoque également sa «casquette syndicale».

« Le seul responsabl­e c’est le terroriste »

Pour autant, les autres représenta­nts de l’intersyndi­cale de la police municipale niçoise qui s’est formée au lendemain de l’attentat a refusé de cautionner cette démarche qu’ils qualifient de « personnell­e ». Même s’ils se refusent de «dénigrer une fonctionna­ire irréprocha­ble ». En revanche, ils n’hésitent à stigmatise­r ceux qui entretienn­ent des polémiques qu’ils qualifient de « nauséabond­es ». Quitte à égratigner leur propre hiérarchie, à savoir les élus municipaux niçois, ils l’affirment : «Policiers et municipaux et nationaux ont réagi en profession­nels » et même s’ils avaient été «deux ou trois fois plus nombreux», ça n’aurait sans doute «rien changé» .Car pour eux, il n’y a « qu’un seul responsabl­e: le terroriste».

ERIC GALLIANO egalliano@nicematin.fr

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(Photo Franck Fernandes) La responsabl­e du centre de supervisio­n urbain a accusé hier le gouverneme­nt.

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