Var-Matin (La Seyne / Sanary)

André Bercoff : « Trump, c’est le rêve américain »

L’écrivain André Bercoff a signé la première interview du milliardai­re américain il y a 8 mois. Aujourd’hui, il publie un livre sur le phénomène: Donald Trump, les raisons de la colère

- PROPOS RECUEILLIS PAR JÉRÉMY COLLADO https://fr.sputniknew­s.com/internatio­nal/201602111 021664264-trump-france-terrorisme-arme/)

Tout le monde le donnait perdant et tout le monde s’est trompé. En quelques mois, Donald Trump est passé de bulle médiatique à possible président des États-Unis. Sous-estimé et moqué par les élites médiatique­s et politiques, le fantasque milliardai­re américain, désormais candidat officiel des Républicai­ns, a livré son premier débat face à la candidate démocrate Hillary Clinton, dans la nuit de lundi à mardi. «Pas le meilleur débat de Trump», a glissé l’ancien maire de New York Rudolph Giuliani, pourtant fervent partisan de l’homme à la mèche blonde. Populiste, raciste, misogyne, provocateu­r: on a tout dit sur son compte. Le sulfureux André Bercoff, lui, a tenté de percer le mystère en le prenant au sérieux. Non sans une certaine empathie pour le personnage, qu’il compare volontiers à Bernard Tapie…

Donald Trump a semblé en retrait face à Hillary Clinton pour son premier débat télévisé. Alors, match nul?

J’ai été assez déçu. Hillary Clinton a semblé mieux préparée. Elle a donné beaucoup de coups et lui s’est beaucoup retenu, avec la volonté de rester calme. Il est parti dans des considérat­ions et a un peu mordu à l’hameçon Clinton. J’ai le sentiment qu’il était beaucoup dans l’improvisat­ion et s’est un peu contenté de se défendre. Peut-être se réserve-t-il pour les autres débats?

Un jour, Donald Trump a dit qu’il n’était pas Dieu… Mais qu’il pourrait lui louer un de ses appartemen­ts. Il donne un peu le bâton pour se faire battre?

Beaucoup de pseudo-experts des États-Unis se sont trompés sur son compte. Pourquoi? Parce qu’ils ne prennent pas le temps d’aller au fond des choses, qu’ils passent d’une chaire universita­ire à un dîner mondain en passant par leur bureau. C’est à la fois du mépris et du déni. Moi, j’ai essayé de penser «Out of the box», comme disent les Américains, en sortant des cases et des sentiers battus.

On sent une empathie de votre part pour le personnage… Vous le comparez même à Tapie, un de vos amis!

Oui mais Donald Trump est allé beaucoup plus loin que Bernard Tapie, qui n’a jamais pu prétendre à l’Élysée. Ce que les Américains aiment chez Trump, c’est qu’il n’est pas achetable. Il s’est constitué une fortune personnell­e et n’a pas besoin des lobbyistes, contrairem­ent à Hillary Clinton, qui est soutenue par Wall Street et tous les néoconserv­ateurs, sauf Clint Eastwood. Trump, c’est le rêve américain.

Sauf que tous les Américains ne reçoivent pas un million de dollars de leur père pour débuter dans la vie…

Oui mais sa fortune est aujourd’hui estimée à plus de huit milliards d’euros! Ok, Trump n’est pas parti de rien, mais il a vraiment bâti quelque chose. Son père n’a jamais voulu aller à Manhattan, il est resté toute sa vie à Brooklyn. Trump, lui, a voulu bâtir des immeubles, il a fait de sa marque un fonds de commerce.

«Je suis trop carré pour devenir politicien», disait Trump en . A-il changé d’avis?

La force de Trump, c’est qu’il n’est pas idéologue. C’est un pragmatiqu­e. Un chef d’entreprise qui a bâti un empire. Il a des conviction­s mais il se dit prêt à négocier. Je le vois très bien prendre des Démocrates avec lui à la Maison Blanche si on lui dit que telle personne est compétente. Vous imaginez Xavier Niel ou François Pinault se présenter à la présidenti­elle? Non, c’est impossible.

Justement, qui ressemble le plus à Donald Trump en France?

Je ne vois pas un Trump français. Ni Sarkozy ni Le Pen, à qui il est souvent comparé. Longtemps, on a voulu classer Trump à la droite de la droite. Mais il propose des mesures de gauche. Il est contre le libreéchan­ge, contre la guerre en Irak… C’est d’ailleurs pour ça que les cadres de son parti le détestent. Il veut faire un New-Deal comme Roosevelt dans les années : main-mise sur la finance, zéro immigratio­n et grands travaux. En cela, je trouve qu’il parle plus comme Arnaud Montebourg ou Georges Marchais. Il contourne à droite comme à gauche car il n’est pas dans une case.

À ceci près qu’il est encore plus caricatura­l et n’hésite pas à tenir des propos parfois racistes et misogynes…

Oui, Trump est caricatura­l. Avec lui, ça passe ou ça casse. Lorsqu’il a une idée en tête, il la poursuit. C’est Idéfix, le chien d’Astérix! Jusqu’à dire parfois n’importe quoi… Aux États-Unis, il y a ce côté sacré de la liberté d’expression totale. Vous imaginez Nicolas Sarkozy qui s’adresse ainsi à Alain Juppé, en disant exactement ce qu’il pense? C’est impensable. Là-bas, c’est brut de décoffrage. Ensuite, Trump a compris la «désintermé­diation» de la politique. Il utilise beaucoup les réseaux sociaux. C’est «l’ubérisatio­n» de la politique, où le message passe directemen­t. Quant à la presse, il s’en sert pour faire un buzz. Hillary Clinton a dépensé quatre fois plus d’argent que lui en campagne électorale.

Que nous dit le succès de sa candidatur­e sur l’état de l’Amérique?

Je crois que les Américains rejettent profondéme­nt l’establishm­ent, ce qu’on a vu aussi avec le succès de Bernie Sanders chez les Démocrates.

Un peu comme en France?

Si on m’avait dit il y a dix ans que l’immigratio­n serait un problème aux États-Unis, je ne l’aurais pas cru. Il se trouve que les problèmes américains sont proches de ceux de la France: chômage de masse, précarité de la classe moyenne et immigratio­n. Et Trump a touché du doigt le malaise américain. Contrairem­ent à Clinton, il ne fait pas une campagne de segmentati­on pour les minorités sexuelles ou les Noirs. Lui, c’est l’Amérique profonde.

Son manque d’expérience peut-il lui jouer des tours?

Oui mais cela peut aussi lui être favorable. Il a vraiment un instinct, il sent les choses. Ce type a touché le nerf de ce qui n’allait pas en Amérique. Pour la première fois, un outsider, même s’il est milliardai­re, un homme hors norme et hors sol politique, peut devenir président.

A-t-il sérieuseme­nt des chances de gagner?

Rien n’est joué. Sur le papier, tout le monde disait qu’Hillary allait en faire une bouchée. Cela va être serré.

Vous voteriez pour lui si vous étiez Américain?

Oui, je me laisserai tenter.

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(Photo AFP/Robin Beck)

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