Sir Lindsay Owen-Jones : « J’ai toujours joué les diplomates »
Compétiteur comblé des Voiles de St-Tropez à bord de son Wally, l’ex P.-D.G. de L’Oréal rembobine le film d’une vie. Ou comment un jeune fan des Beatles est devenu une figure visionnaire du CAC 40
Ténor du CAC 40, pilote pendant dix-huit ans de L’Oréal, leader mondial des cosmétiques, anobli par la Reine d’Angleterre, Sir Lindsay Owen-Jones soigne désormais son profil de compétiteur à la barre de Magic Carpet 3, son troisième Wally engagé cette semaine dans les Voiles de Saint-Tropez. C’est à bord, installé au quai d’honneur, qu’il reçoit, le regard dissimulé par d’épais verres fumés. Français parfait, sens aiguisés, discours rythmé d’anecdotes… son gouvernail verbal est celui de l’armateur, mais il n’élude aucun sujet. Y compris lorsque revient « l’affaire Bettencourt ». Sa posture étant depuis 2010 de prôner la réconciliation entre Liliane Bettencourt et sa fille pour préserver l’image du groupe qu’il a porté au pinacle.
À Saint-Tropez, Wally rime avec nouvelle vie ?
C’est une vieille histoire... Je pense être le premier à avoir reconnu l’originalité du concept de Luca Bassani (lire notre rencontre demain) et certainement le premier à avoir acheté un Wally. C’était Magic Carpet (aujourd’hui propriété de Jean-Charles Decaux, également présent aux Voiles, Ndlr)! J’ai tout de suite adhéré au côté révolutionnaire de ces bateaux épurés et technologiques.
Loin des bureaux, quelle part occupe la voile aujourd’hui?
Importante. Même durant mon parcours au sein de L’Oréal, je m’étais juré de garder du temps pour la compétition. Ma première passion fut de piloter. Je compte trois participations aux Heures du Mans, soit l’Everest pour l’amateur de courses automobiles. J’ai fini par devenir président de la commission endurance de la FIA. Passés ans, les réflexes ne sont pas suffisants pour le haut niveau, alors j’ai prolongé mon goût de la vitesse avec le bateau.
Était-ce à la demande des actionnaires de l’Oréal ?
Cela reste mon choix, même si effectivement, ils étaient soulagés (sourire). Ma femme aussi d’ailleurs. Depuis Cristina navigue avec nous et elle a été adoptée comme un portebonheur. Nos cinq régates annuelles, c’est aussi une façon de rester tonique et d’exercer mon cerveau. Je barre le bateau. C’est beaucoup de concentration et de précision.
Gardez-vous un oeil sur la marche de l’Oréal?
J’ai effectué mon départ par étapes. J’ai mis en place mon successeur (Jean-Paul Agon, Ndlr) et je suis resté pour être sûr que tout marche bien. Quand j’ai vu que c’était le cas, je me suis retiré. Il faut savoir tourner la page. Bien je ne sais quoi… Les prix se sont effondrés. Cette maison au bord de la mer où j’étais quasi-voisin de Thierry Le Luron, est restée l’endroit où m’échapper. Sinon, je suis résident suisse de Lugano.
Pourquoi êtes-vous parfois qualifié de Gallois?
Oh, c’est à cause de mon nom qui sonne gallois et d’un article du temps où je venais d’être nommé jeune P.-D.G. qui m’a bombardé ex-champion de rugby gallois! En France, les Anglais c’est Trafalgar, Jeanne d’Arc, bref un passé chargé… Alors que GauloisGallois c’est proche. Donc pour le P.-D.G. étranger – fait très rare – d’une entreprise française cotée au CAC , je me suis dit que c’était plus sympathique de passer pour Gallois (rire).
Partagez-vous d’autres points communs que votre titre de noblesse avec Paul McCartney?
(Rire) Oui, car je suis né dans les environs de Liverpool! Adolescent, j’avais interdiction formelle d’assister aux concerts des Beatles par mes parents bienpensants (rire). Moi, ça m’amusait et je m’habillais comme eux avec une coupe à la McCartney. À chaque fois que je les entends, ça m’émeut car personne n’aurait imaginé que deux garçons comme nous, venus de Liverpool, fassent de telles carrières. Dans un autre registre, les sports auto, je connais bien Nick Mason, le batteur de Pink Floyd qui est un authentique gentleman.
Avec le recul, comment jugezvous votre ascension ?
Invraisemblable, car je ne viens ni de polytechnique ni de l’ENA ou de l’establishment français… À mes débuts chez l’Oréal, on m’a envoyé sur la route vendre des berlingots Dop ! Du shampooing en doses individuelles. Un apprentissage dense et sportif mais qui a changé ma vie. J’ai découvert qu’observer les femmes et imaginer des produits pour elles m’amusait tout en étant un industriel dans l’âme.
Vous dites fuir les conflits. Comment avez-vous vécu « l’affaire Bettencourt » ?
Il y a un très grand décalage avec l’image que j’ai laissée. Celle d’un dictateur relativement rude, alors que j’ai toujours joué les diplomates qui tentent d’éviter les conflits. Durant toutes mes années à la tête de L’Oréal, je crois n’avoir jamais licencié un seul de mes collaborateurs. Pour moi, « l’affaire Bettencourt » n’a pas entaché l’image de L’Oréal. C’était une histoire familiale. Étant donné mon tempérament, j’aurais évidemment préféré qu’elle n’ait jamais lieu… Je suis triste. Pour les deux d’ailleurs. Car Liliane avait été extraordinaire pour moi. Et en même temps, je pouvais comprendre pourquoi sa fille Françoise était si malheureuse. Mais j’étais conscient dès le départ de l’énormité du problème qui allait s’ouvrir si l’on rendait tout ça public… Une pièce bien connue commence par « La Guerre de Troie n’aura pas lieu» .Etàlafin, bien sûr, elle a lieu. Donc ce fut une grande peine…
J’ai débuté en vendant des berlingots Dop”