Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Adèle Haenel: « Actrice, c’est pas clean »

RAYMONDA GNAWA L’ARLÉSIENNE

- PROPOS RECUEILLIS PAR PHILIPPE DUPUY

La Fille Inconnue

De Luc et Jean-Pierre Dardenne (Belgique).

DAvec Adèle Haenel, Olivier Bonnaud, Jérémie Renier. Durée :  h . Genre : Drame. Notre avis :

ans sa bouche, les mots se bousculent comme les bons films dans sa filmograph­ie (Naissance des pieuvres, L’Apollonide, Suzanne, Les Combattant­s, Les Ogres…). Adèle Haenel est une actrice pressée. A 27 ans, elle a déjà accroché un Téchiné (L’Homme qu’on aimait trop dans lequel elle jouait Agnès Le Roux), un César (du second rôle pour Suzanne )et un Dardenne à son palmarès. Dans La Fille inconnue elle campe Jenny, une jeune médecin qui s’en veut de ne pas avoir ouvert la porte de son cabinet à une inconnue qui y sonnait après l’heure de fermeture et qu’on a retrouvée morte le lendemain sur un quai. Obsédée par le remords, Jenny va tout faire pour identifier la malheureus­e et lui permettre d’avoir une sépulture décente. À l’écouter parler du film on comprend que les scrupules de cette fille ne lui sont pas inconnus…

Tourner avec les frères Dardenne c’était un rêve?

Pas un rêve, non, parce que dans ma tête, ce n’était pas même pas envisageab­le. J’ai grandi avec leurs films, c’est comme si on m’avait dit : « Tu vas faire le Roi Lion »! (rires). C’était plutôt une chance incroyable.

Comment présenteri­ez-vous Jenny, votre personnage ?

Comme quelqu’un qui se réveille, qui ouvre les yeux et voit le monde tel qu’il est. L’événement fortuit auquel elle est confrontée chamboule ses plans de vie et l’image qu’elle avait d’elle…

Pouvez-vous vous reconnaîtr­e en elle ?

Non, parce que je suis née en colère et énervée. Je fais attention quand j’en parle parce que ça peut ressembler à une posture et virer à la farce mais le monde dans lequel on vit me révolte : trop de laisséspou­r-compte, un blocage terrifiant de la mobilité sociale, une stigmatisa­tion de la pauvreté. On vit dans ce monde comme si c’était normal que des milliers de migrants disparaiss­ent en mer, que de plus en plus d’enfants vivent dans la rue… Se sentir responsabl­e c’est un peu la moindre des choses, non?

C’est un peu le thème du film…

Oui, ça oblige à réfléchir à ce qu’on fait ou pas. Le risque qui nous guette tous, c’est de s’endormir en se disant «C’est pas ma faute, je n’y peux rien».

Un rôle marquant, donc ?

Je me méfie aussi du fameux « rôle dont on ne peut pas se défaire ». Je ne sais pas ce que c’est. Mais c’est vrai qu’actrice c’est pas clean. Ça oblige à donner quelque chose d’intime, de sa vie, de son énergie. Celui-là, j’y suis allé comme les autres avec naïveté et sérieux, ce qui va ensemble selon moi. Je me suis beaucoup attaché aux gestes de la pratique médicale : comment

demeure: l’argument dramatique du scénario n’est pas assez puissant pour qu’on se passionne pour le parcours intérieur de la jeune femme médecin qu’incarne (avec une toujours belle conviction) Adèle Haenel. Du coup, la belle mécanique des frères tourne à vide, on en voit les rouages et elle menace on enfile les gants, comment on pique, je me suis intéressée au fonctionne­ment du stéthoscop­e. Je suis un peu obsédée par les détails techniques, mais ça permet de se concentrer sur le jeu ensuite. C’est là que le vrai travail commence.

Comment choisissez-vous vos rôles ?

Il doit y avoir comme une évidence. Si je dois chercher des raisons de le faire, je ne le fais pas. J’aime le cinéma qui assume sa fragilité, son ancrage dans le présent. Je ne crois pas au grand oeuvre. Si le dialogue entre le film et l’époque est pertinent, il passera peut-être à la postérité. Sinon, ce n’est pas grave.

Tourner à l’étranger vous tenterait ?

Pas pour dire que je l’ai fait. C’est sûr qu’on ne va pas me proposer Tomb Raider en France, mais je trouve bizarre de vouloir faire à tout prix l’ablation de ses racines. Il y a comme un truc de neutralisa­tion qui me dérange dans le fait de partir travailler ailleurs que chez soi.

Et passer à la réalisatio­n ?

Je suis déjà assez anxieuse comme ça sur un plateau. Réaliser ça doit multiplier le stress par dix. Pour l’instant ça me suffit de permettre à d’autres de s’exprimer à travers moi.

de virer au système. C’est fort dommage, car l’actualité tragique sur le front des migrants donne au film une résonance qu’il n’avait pas à Cannes. Combien de « filles inconnues » vont-elles encore sonner en vain à nos portes ? ÉRIC VU-AN D’APRÈS MARIUS PETIPA NACHO DUATO ROLAND PETIT

Ph. D

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