Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Inédites: les lettres d’une Varoise, résistante et libre

La correspond­ance des années de guerre de la Toulonnais­e Micheline Maurel est publiée par son frère, Olivier. Elle retrace le portrait d’une femme intrépide et étonnante

- PROPOS RECUEILLIS PAR SONIA BONNIN

Quand ma soeur écrivait, c’était toujours passionnan­t Par ce qui lui arrivait et par sa façon de le raconter. » Dans les yeux d’Olivier Maurel, il y a de l’affection et de la joie. Le souvenir de cette soeur de 21 ans son aînée est intact et chaleureux. Une soeur qu’il « aimait beaucoup », «une personnali­té forte, passionnan­te, pas toujours commode », dont les lettres et écrits révèlent un esprit libre et audacieux. Micheline Maurel, première d’une fratrie de six enfants, avait le don de partager et de raconter. Âgée de 23 ans en 1939, quand la guerre éclate, celle qui deviendra écrivaine et poétesse prépare l’agrégation à Lyon, tout en donnant des cours pour gagner un peu d’argent. La jeune femme écrit abondammen­t à sa famille qui vit dans sa ville natale, Toulon. Engagée dans la Résistance, elle fut arrêtée en 1943 et déportée dans un camp de femmes, une annexe de Ravensbruc­k au nord de Berlin. Alors, les lettres ont cessé.

Quels sont ces textes que vous venez de faire publier ?

Pendant la période de la guerre, Micheline écrivait deux à trois fois par semaine à sa famille à Toulon, et beaucoup à sa grand-mère. En retour, elle se plaignait qu’on ne lui écrivait pas assez. Après le décès de ma mère, ses lettres ont été conservées par l’un de mes frères. En les reprenant, je l’ai redécouver­te, car j’étais encore enfant. Micheline Maurel est née il y a cent ans, en .

D’où vient sa liberté de pensée ?

Notre famille était catholique, très ouverte et tolérante. Micheline était une fille absolument sans tabou. On peut être surpris de voir sa vie affective évoquée si directemen­t. Quand elle est devenue amie d’un pilote polonais, elle en a tout de suite parlé à sa famille. Ce fut une amitié amoureuse – platonique mais exaltée. Ses lettres révèlent une personnali­té vive, non convention­nelle.

Comment a-t-elle fait son entrée dans la Résistance ?

Tadek, ce pilote polonais, était le fils d’un général, membre du gouverneme­nt polonais en exil. Elle a su ce que les Allemands avaient fait en Pologne, alors que les Français, eux, ne le savaient pas. Son entrée dans la Résistance était bien motivée. Même si elle a commencé sans le savoir.

Mais de quelle façon ?

Un jour, un Polonais lui a demandé si elle accepterai­t de porter une enveloppe à Grenoble. Ce fut sa première mission. Puis elle s’est rattachée au réseau français Marco Polo. Onluia confié des missions, comme convoyer des parachutis­tes à travers la France. Elle se rendait à Paris, mais aussi beaucoup dans les Pyrénées, où elle a finalement été arrêtée par la Gestapo.

Elle profitait même des visites en famille à Toulon, pour mener des missions secrètes.

J’avais à peine cinq ans, quand elle m’a emmené sur le port de La Seyne, jouer au ballon. Elle a volontaire­ment jeté le ballon par-dessus les murs et a demandé à un garde en sentinelle de me garder. En fait, elle est passée derrière, pour observer les canons anti-aériens. À La Londe, elle était partie faire des repérages sur une plage minée. Elle a rusé pour s’en sortir, avec un soldat italien qui lui donnait du « Bellissima ». Elle rentrait de Toulon à Lyon, avec des dessins dans son corset, représenta­nt des installati­ons militaires.

Avait-elle peur, avait-elle conscience du danger ?

Elle était très audacieuse et ne donnait pas l’impression d’avoir peur. Elle avait régulièrem­ent besoin de passer la ligne de démarcatio­n. Un jour, une bagarre a éclaté, alors qu’elle était dans une file d’attente. Elle en a profité pour voler un tampon, pour se faire ses propres formulaire­s « Ausweis ». Elle était un peu inconscien­te du danger.

Votre famille était-elle au courant ?

Au bout d’un moment, ce qu’elle faisait était évident. La dernière fois qu’elle a vu sa grand-mère, on lui a demandé si elle travaillai­t pour de Gaulle ou pour [le général] Giraud. Elle a répondu : « C’est juste pour la liberté. » « Et si on t’arrête ? »« Si on m’arrête, on me fusille. C’est vite fait ». C’est tout à fait sa façon, sans ménagement ! Mais elle a regretté d’avoir parlé ainsi.

C’est une femme bouleversa­nte.

Ce ne sont pas des mémoires faites à distance, après coup. Elle donne une vision au jour le jour, y compris avant la défaite, pendant la drôle de guerre. Elle raconte les restrictio­ns, les attentats, la vie du quotidien. Pour nous, ses lettres étaient un véritable roman-feuilleton. Micheline Maurel est décédée à Toulon en 2009, à presque 93 ans. Un camp très ordinaire (prix des critiques en 1957) vient d’être réédité aux Éditions de Minuit, préfacé par François Mauriac. Elle y témoigne de ses vingtdeux mois de survie dans l’enfer d’un camp.

Danse au bord du précipice Lettres et écrits des années de guerre (1939-1945), préface de Jean-Marie Guillon ; Introducti­on, notes et choix des textes par Olivier Maurel ; Éditions L’Harmattan, 39 €.

Si on m’arrête, on me fusille. C’est vite fait ”

 ?? (Photos Dominique Leriche et DR) ?? Comment une jeune femme de  ans s’est-elle engagée dans la Résistance en  ? Comment a-t-elle mené des missions secrètes dans le Var, avant d’être déportée? Micheline Maurel était une personnali­té hors norme (ici en juin ).
(Photos Dominique Leriche et DR) Comment une jeune femme de  ans s’est-elle engagée dans la Résistance en  ? Comment a-t-elle mené des missions secrètes dans le Var, avant d’être déportée? Micheline Maurel était une personnali­té hors norme (ici en juin ).

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