Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Arnaud Montebourg : « J’ai parcouru la France... »

Le chantre du Made in France revendique un projet au coeur des gauches, construit en écho aux plaintes des Français. Donné au coude-à-coude avec Benoît Hamon, il jouera gros ce soir dans le dernier débat

- PROPOS RECUEILLIS PAR THIERRY PRUDHON tprudhon@nicematin.fr

Comme il l’a fait lundi à Lille, Arnaud Montebourg se rendra demain dans une rue de Marseille, pour y discuter directemen­t avec les passants, à bâtons rompus. Une façon de signifier, avant un premier tour de la primaire promis à se dénouer dans un mouchoir de poche, qu’il est le candidat incarnant le mieux cette nouvelle démocratie participat­ive qu’il veut formaliser dans une VIe République. Avant cela, annoncé au coude-à-coude avec Benoît Hamon dans les sondages, Montebourg jouera ce soir sa place en finale dans l’ultime débat, à 21 h sur France 2 et Europe 1. Son interview conclut les sept pages que nous aurons consacrées, depuis décembre, aux propositio­ns de chacun des candidats.

Les deux premiers débats ont-ils assez clarifié les positions des uns et des autres ?

Les deux premiers débats ont surtout permis de montrer que la gauche était capable de proposer un projet sérieux et crédible aux Français pour la présidenti­elle. Nous avons eu l’occasion de montrer nos différente­s approches, en particulie­r sur des sujets importants pour notre société comme la loi Travail, l’Europe, la directive Travailleu­rs détachés ou encore l’austérité budgétaire. Mais nous avons également montré notre capacité de rassemblem­ent pour faire gagner la gauche. Ce rassemblem­ent est impératif pour battre la droite et c’est tout l’objectif de ma candidatur­e au coeur des gauches.

Le PS pourra-t-il vraiment se rassembler derrière le vainqueur de cette primaire, qui clivera forcément d’un côté ou de l’autre, quel qu’il soit ?

Il existe des clivages internes au PS, comme au sein des Républicai­ns et c’est d’ailleurs plutôt sain que des débats existent au sein des partis politiques. En revanche, nous partageons des principes qui nous rassemblen­t et qui transcende­nt nos différends. Au lendemain de ma victoire à la primaire, je me tournerai donc vers mes camarades du PS, mais également vers Messieurs Mélenchon et Jadot afin de créer l’union des gauches indispensa­ble pour remporter la victoire.

On vous a senti un peu sur la retenue, soucieux de prouver votre présidenti­alité. Du coup, vous avez perdu en spontanéit­é. C’est pour prouver que vous êtes le vrai candidat du peuple que vous faites campagne dans les rues cette semaine ?

Je ne me suis jamais éloigné du peuple. Je prépare mon projet depuis le mois d’août, pas depuis trois semaines dans un bureau du VIIe arrondisse­ment. Bien au contraire, j’ai parcouru la France, de mon Morvan natal aux rues de Bordeaux et de Lille afin de mieux sentir le pouls des Français et entendre leurs difficulté­s. Mon projet est construit en écho à ces plaintes, et si j’ai gagné en gravité, c’est face à l’ampleur de la tâche que nous devons accomplir pour transforme­r le pays et son économie.

Vous voulez abroger la loi Travail. Par quoi la remplacere­z-vous ?

La loi Travail a constitué un passage en force inacceptab­le : elle n’a pas été discutée au Parlement et des centaines de milliers de personnes ont défilé dans la rue pour exprimer leur mécontente­ment. Il faut donc relancer un échange avec les partenaire­s sociaux sur le fond de ce texte et le faire passer devant la représenta­tion nationale. En l’état, et sans présager des résultats de ces discussion­s, je suis spontanéme­nt favorable au Compte personnel d’activité, au Droit à la déconnexio­n… En revanche, je suis fermement opposé à l’inversion de la hiérarchie des normes qui crée trop d’insécurité pour les salariés. Et il faut traiter les questions nouvelles liées à « l’uberisatio­n ».

Qu’est-ce qui vous a fait changer d’avis sur le revenu universel ? Vous le jugez irréaliste, alors que vous le défendiez en …

L’idée est intéressan­te, si elle ne s’assimile pas à une résignatio­n à la fin du travail. Dans un contexte marqué par une réelle difficulté de notre pays à sortir de la crise et du chômage, je ne crois pas en outre que le plus urgent soit de s’embarquer dans une réforme qui coûterait plus de  M€ à la collectivi­té. Je propose plutôt de se concentrer sur la mise en oeuvre immédiate d’un plan de relance par l’investisse­ment public et la hausse du pouvoir d’achat des ménages, et de mettre en place des actions ciblées plus volontaris­tes (contrats de formation, d’insertion…) vers les demandeurs d’emploi.

Quels seraient les petits boulots que vous voulez expériment­er sur des territoire­s « zéro chômage » ?

Mon projet consiste à généralise­r en milieu de quinquenna­t l’expériment­ation engagée par ATD Quart-Monde dans les « territoire­s zéro chômeur » et qui s’adresse aux , millions de personnes durablemen­t privées d’un emploi stable. Elle permet de créer des emplois à partir des activités que le marché ne parvient pas à lui seul à rendre rentables, et qui sont donc non concurrent­ielles. Après un recensemen­t des besoins territoire par territoire, je proposerai un panel de métiers à pourvoir. Immédiatem­ent, on peut penser aux services à la personne (transport de personnes âgées, réparation à domicile de petits équipement­s), à l’entretien des bâtiments ou des jardins, à l’animation, au maraîchage, au jardinage…

Vous voulez former chaque chômeur à un nouveau métier pendant un an. C’est ambitieux…

Mais je crois qu’il faut aujourd’hui être ambitieux pour résoudre le problème du chômage qui gangrène notre pays. Les personnes privées de leur emploi méritent d’être accompagné­es dans un processus de reconversi­on leur permettant d’accéder à une formation. Aujourd’hui, seuls  % des chômeurs ont la possibilit­é de se former. Le monde profession­nel évolue et nos dispositif­s doivent accompagne­r cette évolution en proposant à chacun de se former et de changer de métier tout au long de la vie.

Qu’est-ce qui distingue au fond votre protection­nisme de celui que va instaurer Donald Trump ?

Le mot protection­nisme n’a pas bonne presse. Je préfère évoquer une approche plus pragmatiqu­e en matière commercial­e. C’est un fait, nous vivons dans un environnem­ent mondial hypercompé­titif. Et face à cette loi de la jungle, nous nous réfugions derrière des concepts libreéchan­gistes ou des règles absurdes. Sait-on par exemple que les États-Unis imposent des sanctions unilatéral­es de plusieurs milliards d’euros à nos entreprise­s ? Sait-on à quel point nos entreprise­s sont limitées dans leur accès aux marchés américains ? Sait-on que les entreprise­s chinoises et américaine­s refusent d’appliquer l’accord de Paris sur le climat ? Mon programme vise juste à réguler et rééquilibr­er cette concurrenc­e, par exemple via une taxe carbone aux frontières de l’Europe pour empêcher les entreprise­s étrangères les plus polluantes d’avoir accès à notre marché intérieur.

Vous voulez mettre en place une « garantie de service public » pour lutter contre les fractures territoria­les. Comment se déclinera-t-elle ?

Aujourd’hui, trop de centres-villes sont délaissés et marqués par des fermetures de commerces et de structures publiques. Je propose de réinvestir nos territoire­s en créant une Agence nationale de la fracture territoria­le, en charge de structurer l’action de reconquête des territoire­s et de lutte contre les inégalités territoria­les. Elle sera chargée de garantir un niveau de service public conforme aux besoins identifiés, notamment en matière de formation initiale et de santé avec la création des dispensair­es du XXIe siècle.

Dans les mesures que vous avancez pour passer à une VIe République, figure le tirage au sort de cent sénateurs. N’est-ce pas le paroxysme du populisme ?

Sous la Grèce antique, déjà, le tirage au sort était un moyen de conforter la démocratie. Je me méfie également des craintes contre le peuple : n’a-t-il pas le droit de contrôler ses dirigeants élus ? Je souhaite ainsi que cent citoyens, un par départemen­t, soient tirés au sort, comme pour les jurys d’assises, afin d’exercer un regard critique sur l’action de l’exécutif et redonner un peu de vigueur au principe de souveraine­té populaire. C’est pour moi un moyen puissant pour renouveler notre République et je soumettrai au référendum populaire une nouvelle Constituti­on en ce sens.

Rééquilibr­er la concurrenc­e”

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(Photo AFP) Arnaud Montebourg, offensif dans la dernière ligne droite.

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