Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Il m’a fait chier toute ma vie ! »

Qui mieux qu’une maman pour révéler la face cachée de son rejeton ? Thérèse Destremau s’est prêtée au jeu. Entre anecdotes croustilla­ntes et tendres souvenirs, transpiren­t fierté et amour

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Thérèse. Un roman à elle toute seule. En 84 tomes. D’une vie longue, tel un mât de mitaine. Matinée d’une gouaille printanièr­e. Aussi croustilla­nte qu’une nougatine. Légère comme des blancs en neige. Echoués sur un océan de récits. Tirés de l’album à souvenirs... Thérèse. La maman Popeye de Sébastien. Solide. Énergique. La mère porteuse aussi, fondation solide du turbulent et truculent marin. Jadis enfant à l’itinéraire particulie­r... Un Tintin en culottes courtes, devenu capitaine Haddock, qui lui en a fait avaler des moules à gaufres. Déçu par le monde à son premier cri. À peine avait-il ouvert à la voie à son jumeau... C’est ainsi qu’elle ouvre le livre à conter. En racontant. Sautant, à la veillée, d’un rocher à l’autre. Se remémorant le point de départ de la grande odyssée. Le Maroc, son mari. Les premiers bords... « Mon fils a navigué avant même sa naissance. Les Destremau, civils ou militaires, sont très marins! » Avec des draps de lit, des bouts de ficelle, son époux, Pierre-Arnaud, avait confection­né – « avec ses doigts et ses ongles » – un esquif. Pour filer sur les lacs de l’Atlas. Tout a commencé comme ça...

Réfractair­e aux règles

Déjà un morceau d’aventure. Puzzle complété à Toulon, sur un autre bateau maison. Avec, sur le pont, les deux moussaillo­ns, pas plus hauts que deux noeuds de corde. Il était écrit que l’eau serait leur fil rouge. En dépit des tempêtes à venir. Des coups de tabac nés sur l’autel de l’enfance. Lézardant parfois leur quotidien de famille nombreuse. Tout ça par la grâce innocente d’un minot plus pirate que corsaire. Épris de liberté. Réfractair­e aux règles. Étouffante­s... « Oh (!), dès le CP on a vu que c’était un meneur d’hommes. Il avait tout un groupe de condiscipl­es de 5 à 6 ans qui le suivaient aveuglémen­t. » Elle, maîtresse dans cette école primaire d’Ollioules, l’avait aussi à l’oeil. « Il faisait rire tout le monde. Mais il pouvait aussi faire pleurer... » Finalement, le petit caïd a été changé d’établissem­ent. Le début de sa traversée du désert. Des soucis pour ses parents impuissant­s. « Oh putain que oui », ose-t-elle, d’un trait de voix sincère. Des parents secoués par cette tornade. Jusqu’à son renvoi du collège cette fois. « Je ne peux pas vous dire pourquoi... » Le secret est bien gardé. Thérèse a son petit jardin secret. Dont elle a jeté la clé. N’ouvrant qu’une fenêtre sur l’Alsace, où Sébastien a été fermement prié de jeter l’ancre. Un comble... « Il était chez sa marraine qui avait déjà sept enfants ! Puis, il a été à Pontoise. Sans plus de réussite. » En somme, les études ne voulaient pas de lui. Et lui non plus. Attiré qu’il était par le large.

D’un job à l’autre

Coup de chance, son goût pour la voile s’est concrétisé avec un frêle voilier acheté par le patriarche. Plutôt détaché de ce fils sauvageon en quête d’une place sur l’échiquier. « Avec son jumeau, à son bord, ils ont écumé les compétitio­ns. Ce qui n’a rien changé à son adolescenc­e effroyable et sa scolarité déplorable. » Une hérésie avec un père professeur et une mère institutri­ce. Mamita, malicieuse en diable, en rigole sans retenue. La houle du temps est passée. Les écumes – aux lèvres – pardonnées de longue date... Le choupinet n’écoutait rien. Du tout. Pourtant, il a ricoché. D’un job à l’autre. De soudeur sur métaux à tenancier de bar dans la basse ville de Toulon. Un épisode plus San Antonio que Bibliothèq­ue verte. Dont la reine mère – surnommée Ma Dalton par JeanGuille­m, autre fils Destremau – n’a pas perdu une paillette. Ne glissant aucun détail sous le tapis rouge du lupanar. « J’allais le voir tous les dimanches après-midi. C’est là que j’ai découvert le milieu des entraîneus­es. Sébastien ne parlait pas. En fait, il avait été embauché par un souteneur! » Par bonheur – même si celui des dames ne manquait pas de charme – le migrateur courait toujours les flots. Jusqu’à, jeune marié, préparer les Jeux Olympiques de Barcelone en 1992. « À sa façon. Il n’a d’ailleurs pas été sélectionn­é. » Un coup d’épée dans l’eau. Un échec. Insuffisan­t toutefois pour le dégoûter de sa scène mouvante. Las, les différents projets ont rarement été couronnés de succès. « C’était souvent mal réalisé, confesse la gardienne du temple. Mais il y a eu une bascule quand il est parti en Australie. C’est une partie de sa vie très intéressan­te.»

Décision inattendue

Intarissab­le, Thérèse, par petites touches, peint le tableau de son naufragé. Là-bas, plus question de ramer sur le radeau de la méduse. Il a appris son métier de journalist­e. A il a compris que la façon dont il avait élevé ses aînés n’était pas la bonne. Il a mûri et la mère de ses enfants n’est pas étrangère à ce changement... » Assagi, le Seb ? En partie. Car sa décision de courir le Vendée Globe a été inattendue. Même pour sa maman. «Je n’y croyais pas. Jusqu’au moment où j’ai vu le bateau au port de Toulon. C’était un projet dément. Surtout avec si peu de moyens.» Un budget ridicule pour qui ose s’enrouler autour du globe. Au point que Thérèse lui a proposé de vendre sa maison pour l’aider. «Bien sûr, il m’a dit non!»

Il faisait rire tout le monde. Mais il pouvait aussi faire pleurer ”

Séducteur dans l’âme

Ce qui ne l’a pas empêché d’aller au bout de son défi. «Grâce, elle y tient, à la mobilisati­on de bénévoles extraordin­aires. Sans eux, rien n’aurait été possible. Je suis sidérée par leur dévouement. Il ne faut pas les oublier. Moi, je ne les oublierai jamais.» Comme elle n’oubliera jamais ce tour du monde en solitaire et sans escale bouclé par son fils. «Celui qui m’a fait chier toute ma vie! Qui a mauvais caractère comme sa mère. Mais est d’une générosité extraordin­aire. » Un séducteur dans l’âme – «j’en ai vu défiler des filles à la maison durant son adolescenc­e » – qu’elle a enlacé avec toute la tendresse d’une maman poule. Il est vrai que ce Vendée Globe, « j’en avais marre. Je l’ai mal vécu. J’ai eu tellement peur pour lui. » Consciente que ce roc à la grande gueule appréhenda­it la solitude. « Surtout sur ce bateau qui n’était pas prêt. Pas en état. Vous savez, son jumeau ne lui donnait pas deux jours.

Ce Vendée, je l’ai mal vécu. J’ai eu tellement peur pour lui... ”

Franchemen­t, c’était une folie... » Menée à son terme. Enfin, le fils a jeté à la mer les clés de l’asile. « Il est allé chercher un défi invraisemb­lable. Hors normes. C’est fait. C’est fini. » Cela continue aussi. Entre eux. Thérèse ne dit-elle pas de son matelot : « Je veux voir ce qui a changé en lui avec cette épreuve. » De belles pages du roman mère-fils sont donc encore à écrire...

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(Photos Emmanuel Bijon et R. C.) Dans des éclats de rire communicat­ifs, Thérèse Destremau a levé une partie du voile sur son fils, Sébastien, enfin retrouvé après  jours de solitude.

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