Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le cri de détresse de Ouarda victime de « tournantes »

Victime de viols collectifs, Ouarda, 22 ans, brise le silence. Elle ne comprend pas la clémence des juges de la cour d’assises du 06

- CHRISTOPHE PERRIN chperrin@nicematin.fr

Six ans de procédure, d’interrogat­oires, d’expertises… Ouarda, 22 ans, avait hâte que la cour d’assises des mineurs des Alpes-Maritimes juge ses bourreaux. C’était en mai dernier, à Nice. La jeune fille avait confiance. Les policiers de la brigade des mineurs puis deux juges d’instructio­n l’avaient, selon elle, « entendue et comprise » même si les questions étaient « parfois crues », « sans ménagement ». Aujourd’hui, Ouarda est dépitée et amère. La justice est passée. Elle ne reviendra pas en arrière. Les jurés ont jugé en leur âme et conscience. Et la jeune fille s’estime bafouée une nouvelle fois. Ouarda a 16 ans quand, après un énième viol collectif dans une cave squattée de la rue Vernier à Nice, elle décide de porter plainte. « Cela faisait des mois que je ne m’appartenai­s plus. Et puis ce jour-là, mon corps a dit stop. J’ai brisé deux ans de silence », explique la jeune fille. Ouarda était, depuis ses 14 ans, au coeur de ce qu’on appelle une « tournante ». Prisonnièr­e d’un garçon pervers, destructeu­r, barbare. Père inconnu, mère défaillant­e, Ouarda venait de quitter Nice-Nord pour emménager aux Moulins. Son intégratio­n au collège était difficile : « J’étais moquée. Je n’arrivais pas à m’intégrer. J’avais un manque de confiance en moi. »

« Comme un objet, un déchet »

Amine l’a prise sous son

(1) aile. « C’était le premier garçon qui m’a dit “je t’aime” J’étais une proie facile », se souvient Ouarda. « Une fille facile », « une p… » : les copains d’Amine la dévalorise­nt pour mieux assouvir leurs fantasmes. Des photos prises à son insu sont diffusées et finissent d’asseoir sa sulfureuse réputation. D’autant qu’Amine, abreuvé de films pornograph­iques, prête sa copine comme il mettrait à dispositio­n son scooter. « Il m’a manipulée », constate avec euphémisme Ouarda, violée, avilie, battue parfois. « J’étais traitée comme un objet, comme un déchet. Plusieurs fois, j’ai cru mourir. » Placée en foyer, Ouarda va mal. Les éducateurs s’en aperçoiven­t. « Je ne me lavais plus, je ne mangeais plus mais j’ai toujours refusé d’aller dans une structure psychiatri­que. Pour moi, ce n’était pas moi la malade. C’était eux. » Le calvaire de Ouarda repose sur un chantage affectif. Ouarda l’analyse aujourd’hui avec calme et lucidité : « J’avais besoin de lui. J’étais sous son emprise. » Ouarda revient ainsi régulièrem­ent vers son tortionnai­re, illusoire bouée de sauvetage. Un comporteme­nt difficile, sans doute, à comprendre pour des jurés plongés sans crier gare dans l’univers sordide d’une jeunesse sans repère.

Verdict sans appel

L’avocat général, à l’issue d’un procès tendu, avait requis dix-huit ans de réclusion contre Amine. Une peine qualifiée de « démesurée », par les avocats de la défense mais également par la partie civile. « Une peine juste » aux yeux de Ouarda. Aux assises des mineurs, les accusés bénéficien­t, à de très rares exceptions, de l’excuse de minorité qui divise par deux la peine encourue. Amine, qui comparaiss­ait libre, a finalement été condamné à six ans de prison. Un complice, détenu pour une autre cause, a écopé de trois ans de prison. Trois des coaccusés ont été acquittés. « L’avocat général m’a dit qu’il ferait appel. Finalement cela n’a pas été le cas. Je trouve ça injuste. » Aux assises, la partie civile ne peut prendre l’initiative d’un second procès. Seule l’accusation a ce pouvoir. L’arrêt rendu à Nice le 29 mai est donc définitif. « Ouarda doit tourner la page », indiquent plusieurs avocats qui estiment que le procès a été équitable. Ouarda a du mal à l’entendre. Elle veut écrire son histoire : « Je me dis que mes agresseurs restent un danger pour la société, qu’une telle clémence va les encourager à recommence­r. » À visage découvert, avec une déterminat­ion sans faille pour renaître au monde après tant d’humiliatio­ns et d’oubli de soi, Ouarda commence à peine à regarder l’avenir : « J’ai arrêté l’école en troisième. J’espère que la mission locale va m’aider à trouver une formation. »

1. L’accusé étant mineur, il s’agit d’un prénom d’emprunt

 ?? (Photo Ch. Perrin) ?? Ouarda prépare un récit autobiogra­phique qu’elle intitulera Adolescenc­e violée.
(Photo Ch. Perrin) Ouarda prépare un récit autobiogra­phique qu’elle intitulera Adolescenc­e violée.

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