Si les indécis se décident...
La cristallisation, c’est maintenant. Depuis des semaines, tous les commentateurs (votre serviteur compris) ont glosé sur le taux d’indécision des électeurs, exceptionnellement élevé, et qui semblait même – chose étonnante – augmenter à mesure qu’approchait l’échéance. Songez que fin février, à deux mois du scrutin, plus de la moitié des sondés ne savaient pas encore pour qui ils allaient voter. Un tiers n’en avaient aucune idée. Un sur cinq hésitait entre deux candidats. Sur les raisons de cette épidémie d’hésitationnite, tout a été dit : une offre politique inédite, l’affaissement des partis politiques traditionnels, la proximité idéologique entre Mélenchon et Hamon, le vide créé à gauche par le retrait de Hollande et la défaite de Valls, le trouble créé à droite par l’affaire Fillon. Et le fait, tout simplement, que la liste des prétendants n’était pas close. Après tout, il y a dix jours encore (cela paraît déjà loin), nul n’était tout à fait certain que Fillon irait au bout. Pas même lui. Eh bien, on est en train de sortir de cette phase gazeuse. Selon une grosse enquête Elabe ( interrogés), réalisée dans la première semaine de mars, % des citoyens exprimant une intention de vote se disent désormais sûrs de leur choix. Contrairement à ce qu’on pourrait penser, c’est autant qu’en . Mais si l’on prend les choses dans l’autre sens, cela veut dire aussi que plus du tiers des votants peuvent encore changer d’avis. Soit pas loin de millions de personnes, qui tiennent la clé du scrutin dans leurs mains tremblantes. Très logiquement, c’est aux extrêmes que le socle est le plus solide. % des électeurs de Le Pen et % de ceux de Mélenchon disent qu’ils ne bougeront plus. Chez Fillon, c’est également très haut : %. Mais la contrepartie, c’est que la marge de progression de ces trois candidats est faible, comme le montre l’analyse du second choix des indécis. Celle de Marine est d’un peu plus de points, qu’elle pourrait grignoter principalement parmi les électeurs indécis de François Fillon. A l’autre bout de l’éventail, celle de Mélenchon est de , points (qu’il pourrait récupérer sur le dos de Benoit Hamon). De même, la réserve de voix de Fillon paraît maigre - l’équivalent de points de suffrages exprimés - et se situe d’ailleurs plutôt du côté des macroniens indécis que des lepénistes. Non moins logiquement, c’est dans les électorats d’En Marche et du PS que le taux d’indécision est le plus élevé. La moitié des électeurs de Macron et de Hamon peuvent encore changer d’avis. C’est entre ces deux-là que le système des vases communicants peut le mieux fonctionner. Plus d’un électeur potentiel de Hamon sur quatre pourrait en effet voter Macron ; et près d’un électeur de Macron sur cinq basculer vers Hamon. On comprend pourquoi le candidat socialiste et ses lieutenants ont choisi de taper comme des sourds sur Macron et de l’habiller en homme de droite. Trois millions d’indécis sont en jeu. Où l’on voit que le devenir de l’ovni Macron est bien la grande inconnue de cette équation électorale. Il est celui qui a l’électorat le moins bétonné ( % de ses électeurs ne sont pas sûrs de leur vote, et leurs seconds choix se dispersent sur tout l’échiquier). Tous ses concurrents ont parfaitement diagnostiqué ce facteur de fragilité. Mais pour la même raison, se situant à l’intersection des plaques tectoniques, il est aussi celui qui dispose, et de loin, des réserves de voix potentielles les plus importantes : l’équivalent de % de suffrages exprimés. Car il est, si l’on peut dire, le « premier second choix » des électeurs de Hamon, mais aussi de Fillon et même de Marine Le Pen. On serait lui, on mettrait un casque lourd…
« Très logiquement, c’est aux extrêmes que le socle est le plus solide. »