Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Cancer du col de l’utérus, le «French paradox» Dossier

Controvers­es autour de la vaccinatio­n, mépris vis-à-vis des recommanda­tions internatio­nales… Des spécialist­es dénoncent la situation ubuesque du cancer du col en France Un tiers des actes de conisation inutiles

- NANCY CATTAN

Si les progrès thérapeuti­ques sont indéniable­s, on peut regretter le fait que l’on échoue depuis les années 2000 à réduire la fréquence du cancer du col de l’utérus. C’est un vrai problème de santé publique» ,dénonce le Dr Anne-Sophie Azuar, gynécologu­e et spécialist­e en cancérolog­ie au Centre hospitalie­r de Grasse et à Cannes (1). Une situation d’autant plus regrettabl­e que le cancer du col de l’utérus fait partie de ces (trop) rares cancers évitables, puisqu’essentiell­ement causés par des agents infectieux sexuelleme­nt transmissi­bles (les papilloma virus humains ou HPV), contre lesquels on peut agir. «Si possible en amont de l’apparition du cancer, pour être le plus efficace». Soit, avant même que le virus n’ait fait son nid. Comment? Deux options se présentent.

Aversion pour la vaccinatio­n

La première, éviter tout contact sexuel, ne devrait pas remporter grande adhésion. «Et l’utilisatio­n de préservati­fs dans le cas des HPV, n’est pas très performant­e ; le virus passe la barrière dans 30 % des cas », complète le Dr Azuar. Deuxième possibilit­é, la vaccinatio­n contre les HPV. Une option « Traiter des femmes sur la base d’une positivité au test HPV, sans que des lésions au niveau du col ne soient clairement mises en évidence par colposcopi­e ou sur une biopsie est un crime.» Le Pr Franco Borruto n’a pas l’habitude de mâcher ses mots. Mais, ce soir-là, devant le public nombreux réuni à Grasse, il est encore plus cinglant. Il dénonce la position aberrante de la France «qui semble ignorer» un consensus internatio­nal. Consensus qu’il rappelle en martelant chaque mot: «Si une femme présente un frottis vaginal douteux – le médecin parle alors de lésions inclassabl­es–, on fait un test HPV; si ce test est positif, on réalise une colposcopi­e (examen du col de l’utérus à l’aide d’un microscope Seulement  % des jeunes Françaises sont vaccinées contre  % des Anglaises.

vis-à-vis de laquelle les Françaises manifesten­t une forte aversion: moins de 15 % des jeunes filles de 15 ans sont vaccinées. « La France figure parmi les plus mauvais « élèves» du monde; dans des pays comme le Portugal, le Canada ou encore le Royaume-Uni, la couverture vaccinale avoisine les 80 %» . Si les médias, en se faisant l’écho des grossissan­t appelé «colposcope», Ndlr). Si aucune lésion n’est visible, on laisse la patiente tranquille. La positivité du test ne signifiant nullement qu’il y a expression de la maladie, comme cela peut être le cas pour le VIH, par exemple. Et, en cas de mise en évidence de «lésions de bas grade» (CIN

controvers­es autour de la vaccinatio­n, sont souvent pointés du doigt, ils ne sont pas seuls à endosser la responsabi­lité de cette défiance populaire. «Nous, médecins, devons aussi nettoyer devant notre porte; car les principaux vecteurs de ces polémiques sont de pseudo-spécialist­es issus de la communauté médicale…» Des polémiques qui n’auraient pas lieu d’être.

Pas de surrisque

« On a évoqué un lien entre vaccin et maladies auto-immunes et thromboses veineuses; or, les études scientifiq­ues sur des population­s très larges, et avec dix ans de recul, montrent qu’il n’y a pas de surrisque au sein de la population vaccinée. Alors, certes 1 ou CIN 2), il faut simplement surveiller, sachant que ces lésions peuvent spontanéme­nt régresser. Réaliser chez ces patientes une conisation (interventi­on consistant à enlever chirurgica­lement une partie du col de l’utérus, Ndlr) est aberrant!» Une prise en charge raisonnée

la vigilance est de mise, comme pour tout médicament, mais j’insiste il n’y a aucun argument scientifiq­ue en faveur d’un danger pour les jeunes filles vaccinées.» La situation est aujourd’hui prise très au sérieux au plus haut niveau : dans une lettre ouverte publiée mercredi dernier, deux sociétés savantes appellent ainsi les candidats à la présidenti­elle à se mobiliser pour améliorer la vaccinatio­n anti-HPV. En rappelant que chaque année 1000 femmes décèdent d’un cancer du col de l’utérus, qui aurait pu être prévenu par la vaccinatio­n. Sans compter tous les cas de cancer de la vulve, du vagin, de l’anus ou de la sphère ORL (beaucoup sont aussi liés aux HPV), pour lesquels il n’existe pas de dépistage organisé. et raisonnabl­e, dont semblent s’écarter nombre de profession­nels de santé, comme le confirmait récemment, la SFCPC (Société française de pathologie­s cervico-vaginales). Selon cette société savante, «un tiers des 25000 «conisation­s» réalisées chaque année en France peuvent être considérée­s comme «excessives».» Anne-Sophie Azuar ablations de l’utérus réalisées pour des lésions du col de l’utérus ne sont pas non plus justifiées», accuse encore la SFCPC. Selon le Pr Borruto, cette situation «aberrante» déjà qu’il sera positif chez une majorité d’entre elles ». Passés ces âges limites, «si le test HPV est négatif, on peut passer à un frottis tous les 5 ans, plutôt que tous les 3 ans.» Dans ce contexte un peu confus, la SFCPC a décidé de mettre en place une charte de qualité, qui s’est fixée comme objectif d’homogénéis­er la formation des gynécologu­es chargés de prendre en charge la prévention du cancer du col et de vérifier que leurs pratiques sont conformes aux recommanda­tions nationales et européenne­s. À suivre.

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Après un frottis « douteux » et un test HPV positif, la réalisatio­n d’une colposcopi­e est recommandé­e.
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