Var-Matin (La Seyne / Sanary)

« Si c’était une consécrati­on je serais un vieux con ! »

Avant sa séance de dédicace à la libraire Falba demain dès 14 heures, le dessinateu­r Farid Boudjellal livre les recettes de La Présidente, fiction politique à succès

- SIMON FONTVIEILL­E sfontviell­e@varmatin.com

Toulon ‘‘ Je n’enlaidis jamais Marine Le Pen ”

Au bout du fil, sa voix est chantante. Malgré la grisaille parisienne où il vit désormais la plupart de son temps, Farid Boudjellal garde des cigales dans ses accents et ses intonation­s. Comme si le dessinateu­r toulonnais, frère aîné du patron du RCT, n’avait jamais vraiment quitté sa rade natale. Il viendra en chair et en os samedi, à l’occasion de la sortie du troisième et dernier tome de sa saga de bande dessinée La Présidente (éd. Les Arènes BD), scénarisée par François Durpaire, distribuer dédicaces et autres autographe­s. À la librairie Falba à partir de 14 heures, le maître du 9e art présentera donc le plus gros succès de sa carrière, cette série d’uchronie politique, véritable « Olni » (Objet littéraire non-identifié), qui imagine ce que serait la France gouvernée par le Front national de Marine Le Pen…

Je suis devenu bankable ”

Dédicacer cette bande dessinée à Toulon, ça a du sens ?

Bien sûr ! Déjà parce qu’on m’a invité et que je suis un enfant du pays, même si j’ai quitté Toulon dans les années  pour Paris. Je crois que ça fait dix ans que je ne suis pas venu dédicacer à Toulon, ça me fait énormément plaisir, je suis resté un méridional… Dans le coin, on vote plutôt à droite. Et puis à Toulon, le Front national, on connaît. Quand (Jean-Marie) Le Chevallier était maire en , j’étais déjà engagé contre le FN. L’équipe de “Charlie Hebdo” était venue en , une BD était sortie pour l’occasion : “Charlie Hebdo saute sur Toulon”. Avec un nom comme Boudjellal, ça se voit qu’on est issu de l’immigratio­n, et certains peuvent le percevoir comme quelque chose de négatif. On a beaucoup reçu mais on a également beaucoup donné à notre ville avec mon frère Mourad : les éditions Soleil, le Bouclier de Brennus pour le RCT…

Pourquoi vous être lancé dans cette trilogie,

La Présidente ?

J’avais déjà traité du racisme dans les années  mais quand Les Arènes m’ont proposé le projet, je me suis vraiment demandé si j’en étais capable. C’est très différent de ce que je faisais. Tout le défi a été de faire un travail réaliste pour décrire dans le premier album les cent premiers jours de Marine Le Pen. Les caricature­s n’ont presque plus d’effet. Là, il fallait fournir un outil de réflexion. Ça a été presque un travail militant.

Cette absence de caricature se voit dans votre trait, qui est très réaliste…

Comme on a fait de la politiquef­iction, l’oeuvre s’est composée avec de la documentat­ion, des photograph­ies. Je n’enlaidis jamais Marine Le Pen, d’ailleurs sur l’une des couverture­s, elle est même belle… Au niveau technique, j’ai travaillé par ordinateur, c’est une autre façon de dessiner. Mais ça a été un vrai travail collectif. François Durpaire me donnait la somme d’informatio­n, des textes très riches et je faisais des montages, des mises en scène, des découpages. L’éditeur, Laurent Müller, s’est aussi beaucoup investi.

Marine Le Pen élue présidente en , vous y croyez ?

Je le redoute ! Nous sommes dans un climat électoral et une crise de la Ve République qui fait que tout est envisageab­le… Le FN monte depuis trente ans. Il y a une dynamique qui a dépassé les thèmes du racisme. Même si le fer de lance reste qu’“il y a trop d’immigrés”, beaucoup de personnes ne se sentent plus représenté­es et le chômage, l’insécurité sont de vrais problèmes qui persistent.

Marine Le Pen est également

mise en cause dans Les affaires. Sa candidatur­e n’est elle pas aussi desservie ?

C’est possible, ça peut jouer sur les près de  % d’indécis. Mais d’autres facteurs entrent en jeu. On peut se dire : “Macron a-t-il une stature de présidenti­able”. Mélenchon fait un peu peur, Hamon est jeune lui aussi…

Mais justement, à la fin du tome III, c’est Emmanuel Macron qui bat le FN et gagne l’élection présidenti­elle, avec un ticket avec Christiane Taubira. Donc Macron devra patienter ?

C’est une oeuvre de fiction, même si elle est réaliste. Donc je ne vais pas jouer Madame Soleil ! Mais tout est possible.

Le tome II a été publié en octobre, le dernier le  mars. Fallait-il tout sortir avant l’élection ?

Bien sûr ! Dès le début, on était parti sur trois tomes et les trois ont été faits en deux ans. C’est la première fois que je travaille aussi vite !

Le troisième tome s’appelle La Vague. Vous vous êtes inspiré du film allemand La Vague ,de Dennis Gansel, qui explique comment peut naître de nouveau un système totalitair­e ?

Non, pas du tout. Mais entre la montée du FN, le Brexit et l’élection de Trump, on a eu l’impression que c’était des idées qui se propageaie­nt, d’où le titre.

Comment expliquez-vous le succès de cette série ? Le tome I, publié en , a été vendu à  exemplaire­s…

Je l’explique en me disant que c’est parce que ça sonne juste. Si ça avait été humoristiq­ue, je n’aurais pas accepté car ça n’aurait convaincu que les convaincus.

Vous avez reçu en  le prix oecuméniqu­e du festival d’Angoulême pour votre série Petit Polio mais La Présidente est votre plus gros succès. C’est une consécrati­on pour vous ?

Consécrati­on, c’est un grand mot ! Ça a été un très gros chantier mais C’est plus un tournant qu’une consécrati­on. Je suis devenu “bankable”, comme disent les éditeurs ! (rires) C’est tellement différent de ce que j’ai fait avant que j’envisage sérieuseme­nt une deuxième vie artistique, ça ouvre plein de projets. Une consécrati­on… (silence) A  ans, si je considérai­s que c’était une consécrati­on, je serai vraiment un vieux con !

Y a-t-il des endroits que vous aimez plus que d’autres à Toulon ?

Toulon, j’y retourne plusieurs fois par an pour voir ma famille, mon frère, ma mère, ma soeur. J’adore faire le marché sur le cours Lafayette. Tous les matins, je prends mon petit-déjeuner sur le port, au bar La Gitane ou à la brasserie La Réale… Et puis c’est plein de souvenirs d’enfance. Au début, on vivait à La Loubière, puis à Saint-Jean-du-Var et finalement dans la rue Baudin, derrière la Bourse du travail. C’est d’ailleurs là que s’est mariée ma soeur, dans les années . J’allais souvent lire des collection­s de livres dans la librairie Montbarbon, dans la rue d’Alger. Et tous les dimanches, quand on était gosses avec Mourad, on allait faire les puces aux Lices, avec notre grand-mère arménienne. Je le charriais sur mon vélo et on vendait des illustrés pour en acheter d’autres et alimenter notre stock. Vous en avez une bonne sur le président du RCT là, non? Savoir + Farid Boudjellal sera présent de 14 à 18 h, à la librairie Falba, place Puget. La Vague (Les Arènes BD, 20 euros), tome 3 de La Présidente, a été publié le 22 mars dernier. La Présidente (tome 1) a été publié en novembre 2015, Totalitair­e (tome 2), en octobre 2016.

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(Photo DR) A  ans, le frère aîné de Mourad Boudjellal signe son premier succès commercial d’envergure.

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