Macron - Le Pen, le grand chambardement
Le premier tour de la présidentielle a débouché sur un bouleversement total de notre paysage politique. Les candidats d’En marche ! et du FN sont en finale, Les Républicains et le PS sinistrés
Qui l’aurait parié il y a seulement six mois, quand chacun, de droite et d’ailleurs, se pressait à la primaire des Républicains en pensant élire le futur Président ? Le résultat de ce premier tour constitue un séisme d’une ampleur inégalée, qui en dit long sur le désaveu d’un système politique à bout de souffle. Le rejet des partis de gouvernement et le « dégagisme » ont fait leur nid sur une campagne totalement cul pardessus tête. Mais cette présidentielle est, avant tout, l’histoire d’une déroute absolue. L’impensable s’est produit hier soir : la droite a perdu l’élection la plus imperdable de son histoire.
Faillite collective à droite
Cet échec est évidemment celui d’un homme qui a entraîné toute sa famille par le fond, pour n’avoir pas compris que les Français en avaient soupé de pratiques dont il a cru pouvoir se dédouaner en les réduisant à des « erreurs» ou à un simple acharnement judiciaire et journalistique. La facture présentée par les électeurs est lourde: huit points de moins qu’un Sarkozy pourtant très fragilisé en 2012. Le grand écart entre le gaullisme revendiqué par Fillon, sa veine libé-ralo-rigoureuse et sa conduite personnelle, s’est révélé intenable. Y compris au sein de l’électorat républicain, le sens d’une certaine exigence a prévalu sur le vote partisan, alors que les études convergent pourtant pour estimer la France majoritairement à droite. Mais à l’heure de la grande lessive qu’annonce cet incroyable gâchis chez Les Républicains, il serait trop facile de rendre François Fillon seul responsable du désastre. Alain Juppé, pour n’avoir pas réussi à cristalliser une véritable adhésion lors de la primaire, a sa part dans cette défaite. Et Nicolas Sarkozy plus encore, qui n’a pas su ou… voulu faire barrage au candidat devenu kamikaze. Un cadre des Républicains, sous couvert d’anonymat, résumait la situation dès la semaine dernière: «Sarkozy a préféré voir Fillon perdre que Juppé gagner. »
Macron au bon moment
Cette déroute de la droite entraîne donc l’avènement probable d’un jeune homme ambitieux que nul ne connaissait il y a cinq ans, à peine plus il y a trois ans. A 39 ans, Emmanuel Macron est en passe de rentrer à l’Elysée sans avoir jamais été élu auparavant ! Et de réaliser, sans coup férir, le rêve sur lequel François Bayrou s’est toujours cassé le nez: gouverner la France au centre, sur l’autel du compromis, quand bien même ses contours restent parfois abscons. Les électeurs ne lui en ont visiblement pas tenu rigueur. Emmanuel Macron a eu le talent d’arriver au bon moment pour épouser l’envie des Français d’en finir avec un système bipartisan hors d’haleine, à force d’impuissance commune à réduire le chômage et à restaurer la sécurité. Lorsqu’il a lancé son mouvement, voici tout juste un an, peu croyaient en son endurance. «Une bulle», se gaussaient beaucoup. Macron aura pourtant réussi jusqu’au bout le tour de force de ratisser aussi large sur sa droite que sur sa gauche. Cette position centrale semble le promettre à un succès aisé au second tour, les ralliements plus ou moins contrits affluant de toutes parts vers lui. Face à Marine Le Pen, il va pouvoir continuer à jouer sur le velours du rassemblement. L’abondance de biens lui facilitera dans un premier temps la tâche. Sa posture attrape-tout deviendra sans doute plus délicate à gérer lorsque viendra l’heure des législatives et de l’éventuelle revanche des partis. Mais chaque chose en son temps.
Le Pen entre deux eaux
Pour Marine Le Pen, la suite s’annonce donc compliquée. D’autant plus que sa place en finale ressemble à un demi-échec. Elle améliore certes son score de 2012, mais atterrit bien en-deçà de celui qu’on lui promettait depuis des mois. Si cette présidentielle nous a habitués aux rebondissements, trop d’hostilités se conjuguent encore contre elle pour lui laisser espérer mieux qu’une défaite honorable dans quinze jours. Elle aura enregistré, quoi qu’il arrive, une première victoire : sa présence au second tour, préparée depuis des années par les sondages, n’a pas été vécue comme un tremblement de terre. Si barrage républicain face au FN il y aura, on sera loin des cris d’orfraie poussés lors de la qualification de Jean-Marie Le Pen en 2002. C’est un succès personnel pour Marine Le Pen.
La gauche recomposée
A gauche, Jean-Luc Mélenchon n’aura pas réussi à pousser la dynamique d’une campagne tonique et ingénieuse jusqu’à la qualification. Il n’en devient pas moins de facto le leader de l’opposition résolument sociale et savoure, à n’en pas douter, l’état dans lequel il laisse le PS. En lambeaux. Un PS dont Benoît Hamon a précipité l’effondrement, réalisant le plus bas score du parti depuis Gaston Defferre en 1969 (5,01 % sous l’étiquette de l’ancienne SFIO). Contraints désormais de soutenir Emmanuel Macron, les socialistes auront bien du mal à réexister par eux-mêmes aux législatives. Benoît Hamon a sonné le glas du PS réunifié par François Mitterrand au congrès d’Epinay en 1971. Mais pas plus que François Fillon, le Breton n’est seul comptable du dépôt de bilan. C’est une oeuvre collective, une coproduction de François Hollande et des frondeurs, qui ont de concert, en tirant à hue et à dia, sapé en cinq ans les fondements du parti de la synthèse.