Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Daesh n’occupera plus de territoire­s à la fin »

Acculée par les forces régulières syriennes et irakiennes, bombardée par les avions de la coalition, partout l’organisati­on État islamique est sur le reculoir. Le point avec J.-J. Jauffret Daesh est un totalitari­sme absolu ”

- PROPOS RECUEILLIS PAR PIERRE-LOUIS PAGÈS plpages@varmatin.com

Professeur émérite d’histoire contempora­ine à Sciences Po Aix, spécialist­e de la guerre d’Algérie et de l’Afghanista­n, Jean-Jacques Jauffret sera à Toulon jeudi soir (1), à l’invitation de la Fondation méditerran­éenne d’études stratégiqu­es. Il évoquera l’avenir de Daesh.

Quelle est la situation de Daesh sur le terrain ?

Ça dépend des zones géographiq­ues. Autour du bassin méditerran­éen, Daesh est en recul sur le plan territoria­l. Après la libération de la ville de Syrte en Libye, des combattant­s de Daesh se sont dispersés, mais les porteavion­s américains ont envoyé leur aviation pour bombarder deux camps qui s’étaient reconstitu­és. Actuelleme­nt, on peut estimer à quelques centaines le nombre de combattant­s de Daesh présents entre le Fezzan et la Tunisie. Au Nigeria, Boko Haram, qui s’était totalement donné à Daesh, est également en recul. En ce qui concerne le Moyen-Orient, nous avons assisté depuis exactement octobre  et la reprise du Djebel Sinjar à un retourneme­nt de la situation. Sur les   à   combattant­s du départ, ils sont au maximum   à continuer à se battre en pure folie pour Mossoul ouest et Raqqa. À terme, avec beaucoup de prudence et peut-être des centaines, voire des milliers de morts supplément­aires, on peut dire que, en Syrie comme en Irak, l’occupation territoria­le par l’État islamique sera terminée fin .

Vous ne semblez pas convaincu par cette fin annoncée de Daesh ?

C’est qu’ailleurs il y a de nouvelles tumeurs, des métastases. Ainsi, depuis la fin , Daesh est installé en Afghanista­n. Ils y ont pris l’équivalent de La Mecque pour les terroriste­s : ils se sont emparés du massif de Tora Bora, l’ancien QG de Ben Laden. C’est aussi fort que la proclamati­on du califat par al-Baghdadi depuis la grande mosquée de Mossoul. Non seulement les combattant­s de Daesh tiennent quelques provinces dans l’Est du pays, mais ils mènent des opérations spectacula­ires jusqu’au coeur de la capitale. On l’a vu début mars avec l’attaque meurtrière d’un hôpital militaire à Kaboul. Comme à Bagdad en Irak, Daesh y multiplie également les attentats contre la communauté chiite. Dans cette guerre absolue contre des frères musulmans, ils s’en prennent même désormais, notamment au Pakistan voisin, à l’islam soufi, un des courants les plus modérés du sunnisme. Une dérive condamnée par la grande majorité des autres groupes terroriste­s, y compris Al Qaïda.

Mais la disparitio­n prochaine de Daesh est une bonne nouvelle ?

Évidemment. Surtout dans l’espoir de trouver enfin une solution de paix en Syrie et en Irak. Mais tout ne sera pas nécessaire­ment réglé avec la fin de Daesh. Il y a tellement d’enjeux qui se télescopen­t : les appétits chiites amenés par l’Iran, la volonté des Kurdes de créer un État, celle des Russes de tenir toujours la Syrie sous leur coupe, quitte à reconduire Bachar el-Assad… Je le répète : l’affaire ne sera pas totalement réglée par la disparitio­n de Daesh. Mais on sera sur la bonne voie. Même si, en ce qui concerne la Syrie, il faudra trouver une solution politique pour mettre Bachar el-Assad sur la touche et arriver peut-être à des élections libres. Mais le problème Daesh restera entier en Afghanista­n et dans l’ensemble des pays occidentau­x où l’extraordin­aire propagande de Daesh continuera de lobotomise­r des jeunes croyant accéder à une sorte de pureté ou des anciens repris de justice tentés de se racheter par un acte fou au nom d’une sorte de caricature de l’islam.

Avec ses revers militaires, on dit pourtant que Daesh déserte les réseaux sociaux.

Ce n’est pas faux. Notamment après que son centre névralgiqu­e à Raqqa a été plusieurs fois bombardé. Mais vous avez toutes sortes de relais, y compris en France, qui reprennent la phraséolog­ie de Daesh sous des aspects camouflés, mais avec la même approche terroriste.

Faut-il craindre le retour de ceux qu’on appelle les « revenants » ?

Il faut être très prudent sur cette question. Il n’existe pas de solution toute faite. Vous avez par exemple des déserteurs. C’est grâce à eux qu’on a découvert les horreurs commises à Mossoul ou Raqqa, qui consistent par exemple à jeter des immeubles les homosexuel­s, ou à crucifier les chrétiens. Vous pouvez aussi être confronté à des gens qui feront amende honorable en apparence mais qui auront pour projet de créer de nouvelles métastases. D’autres au contraire auront compris quelle était l’horreur de ce totalitari­sme absolu et qui seront certaineme­nt récupérabl­es.

Les bavures de la coalition, comme celle commise fin mars à Mossoul, peuvent-elles favoriser le recrutemen­t de Daesh ?

Il suffit d’aller sur le réseau Telegram pour constater à quel point toute bavure est exploitée par Daesh. Alors oui, peut-être qu’un jour, un gugusse prendra le contrôle d’un train lancé à toute vitesse dans une gare en criant « Allahou akbar, je venge les morts qui sont tombés dans un bombardeme­nt de la coalition à Mossoul ». Ce type d’acte, qui dépasse la raison et l’entendemen­t, n’est effectivem­ent pas impossible. Mais pour revenir aux bavures, elles sont inévitable­s. Il n’y a pas de guerre propre. Le «zéro mort» est l’une des plus grandes fumisterie­s qu’on n’ait jamais inventées.

Encerclé à Mossoul, terré quelque part entre l’Irak et la Syrie, kidnappé… Les rumeurs les plus contradict­oires circulent au sujet d’Al-Baghdadi, le chef de Daesh ?

Personne n’en sait strictemen­t rien. C’est un peu comme avec Ben Laden, quand il s’était carapaté au Pakistan. La guerre du XXIe siècle dépasse tout ce qu’on avait vu sur le plan de l’intox. Alors mieux vaut rester prudent. J’ai déjà vécu ça en Afghanista­n quand on avait annoncé, à partir de , la mort du mollah Omar, avant de le voir réapparaît­re en … Ce n’est qu’il ya  ans qu’on a été sûr de sa mort, quand les Talibans l’ont reconnue euxmêmes. Pour Al-Baghdadi, c’est pareil.

Avec le recul territoria­l de Daesh, faut-il craindre une surenchère en termes d’actes terroriste­s ?

Oui, et on le voit déjà dans le Sinaï, en Égypte. Depuis plusieurs semaines, on assiste à une montée crescendo de groupes qui se réclament de Daesh et qui persécuten­t les chrétiens, du coup obligés de se réfugier à Port-Saïd. Plus près de nous en Europe, on n’est pas non plus à l’abri d’illuminés qui peuvent commettre toutes sortes d’attentats. On l’a vu récemment à Londres et à Stockholm Ça peut nous arriver d’un moment à l’autre. Daesh a une autre particular­ité par rapport à Al Qaïda. C’est une organisati­on d’abord horizontal­e. ça veut dire que tout groupuscul­e terroriste qui se revendique d’un islam rattaché à la charia dans son aspect le plus intransige­ant peut se réclamer de Daesh et Daesh le reconnaît. D’autant plus s’il commet un attentat.

La fin de Daesh ne réglera pas tout ”

1. La conférence aura lieu ce jeudi 27 avril à partir de 18h30, dans l’amphithéât­re de la maison du numérique et de l’innovation. 2. Cette interview a été réalisée avant l’attaque terroriste­contrelesp­oliciers,àParis,le20 avriletcel­le contre une base de l’armée afghane le 21 avril.

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(Photo D. R.)

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