L’homme qui ressuscite le “polaroïd du XIXe siècle”
Sergiy Shushyn est né en Sibérie, en 1972. En 2010, il est tombé amoureux du collodion humide. Une technique de prise de vue inventée en 1851. Et depuis, il ne peut plus s’en départir
Il a le regard pétillant d’un enfant mais son visage émacié en dit long sur son parcours. Sergiy Shushyn est né dans la Taïga, en Sibérie en 1972, « in the middle of nowhere» [au milieu de nulle part, ndlr]. Installé depuis cinq ans en France, il maîtrise encore mal la langue de Molière. Mais pas besoin d’un roman pour décrire son travail. Il suffit d’observer ses plaques de verres, ces appareils photos d’un autre temps, dans son appartement de Golfe-Juan. « Tout est d’époque, il ne s’agit pas de reproduction de vieux appareils», prévient-il. C’est que l’authenticité, il y tient. Même dans sa manière de se vêtir.
Toujours en recherche
Né d’une mère ukrainienne et d’un père russe, Sergiy Shushyn a grandi en Ukraine. À 18 ans, il rejoint l’armée soviétique pour son service militaire alors que sa ville, Ivano-Frankivsk, lutte pour l’indépendance de l’Ukraine. À la fin de son service, le jeune Sergiy quitte son pays en plein chaos. Il part en Pologne pour « commencer sa vie ». Le 15 juin 2002, alors qu’il célèbre ses 30 ans, il se dit « time is running » [le temps presse, ndlr]. Crise de la quarantaine précoce ou simple prise de conscience de son existence, il décide de devenir photographe. En 2010, son ami Piotr Biegaj lui parle de la technique du collodion humide, un produit utilisé en photographie en 1851 par un Anglais, un certain Frederick Scott Archer. « Cette technique consiste à glisser une plaque de verre ou de métal humidifiée par le collodion (composé de nitrocellulose dissous dans un mélange d’éther et d’alcool) dans l’appareil photo, à attendre quelques secondes et à passer ensuite la plaque dans un bain révélateur», explique le photographe. Dit comme ça, ça a l’air simple mais cette pratique nécessite la plus grande précision. Ce n’est pas pour rien qu’il choisit le pseudo Mr Flawless. « Ça veut dire sans défaut, car ce type de photographie nécessite une extrême propreté, la moindre poussière sur le verre ou le métal crée un halo », raconte-t-il. Pour ses 40 ans, il décide de relever un autre défi. « Je voulais faire des photos à Paris, sur des plaques de verre de 30 x 40 cm en référence à ma décennie écoulée. » Il déménage dans la capitale et s’installe avec son appareil photo du XIXe siècle devant le château de Versailles et tous les touristes lui réclament une photo. « Seulement, moi je ne voulais pas les vendre, je prenais des clichés par plaisir, pour me perfectionner. » Vivant chichement, il revient le lendemain sur les lieux. Et là, il se fait remarquer par un couple d’amateurs d’art qui travaille au musée Jean-Jacques Henner, à Paris, dans le 17e arrondissement. Le réalisateur, Edouard de la Poëze entend parler de lui et le contacte pour un courtmétrage avec Fanny Ardant sur la photographie à l’époque victorienne. Intitulé La Séance, le film est sorti en 2015 sur grand écran. « J’ai joué les mains de Paul Hamy dans le film et fais une photo de Fanny Ardant avec la caméra juste dans mon dos, j’avais une pression de dingue », se souvient-il en soufflant. «Je voyais bien que tout le monde était très révérencieux envers Fanny Ardant mais moi je ne la connaissais pas, alors j’étais naturel avec elle et je crois que ça lui a plu.»
Passionné et tenace
Ce court-métrage aurait pu booster sa carrière mais seulement voilà, Sergiy Shushyn avait envie de découvrir la French Riviera. Il s’installe alors à Golfe-Juan. «J’aime la douceur de vivre ici», confie-t-il. Mais lors d’une sortie à moto, il se casse le poignet. Son projet et son monde s’écroulent. « Mais je viens de l’Union soviétique», lâche-t-il avec un sourire en coin. Il se remet sur pied, fait quelques photos à Monaco, à Nice, dans des soirées privées. Depuis le 1er mars, il a repris son projet intitulé Not Ordinary beings & The Little Things, [qui pourrait se traduire par des êtres pas communs et des petites choses, ndlr]. Des photos « un peu provocantes » illustrant la vie quotidienne. L’artiste n’en dira pas plus. Pour vivre, il réalise aussi des portraits de famille plus classiques. «Je me déplace chez les gens, ou pour un mariage avec mon “petit” appareil photo ». De quoi garder un joli souvenir suranné et découvrir une technique d’un autre temps. Toutes les infos sur : www.mrflawless.eu. Tarifs des photos : 13 x 18 : 100 €, 20x25 : 200 €, 30 x 40 : 300 €.