Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Le Cagnois qui avait aidé des migrants en Italie relaxé

- CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Des visages chavirés d’émotion. Des étreintes fougueuses. Des cris de victoire rageurs. L’ambiance est euphorique, hier après-midi, au tribunal d’Imperia. Sourire aux lèvres, une soixantain­e de proches et militants congratule l’homme au coeur de toute cette agitation : Félix Croft. Après des mois de procédure jalonnés de cinq audiences successive­s, ce Cagnois de 28 ans, poursuivi pour « aide à l’immigratio­n clandestin­e », peut enfin relâcher la pression : le tribunal vient de le relaxer. Le 22 juillet 2016, Félix Croft avait embarqué à bord de son break Citroën cinq membres d’une famille soudanaise. Venu à leur rencontre en l’église de Vintimille où ils avaient trouvé refuge, ce bénévole avait été bouleversé par leur récit tragique et leur situation : un enfant grièvement brûlé lors de l’incendie de leur village, une mère de famille enceinte... Félix Croft les avait conduits en direction de la barrière de péage de Vintimille. La police l’avait stoppé sur la route.

Épée de Damoclès

Félix Croft avait agi sans contrepart­ie financière, mu par « un simple devoir d’aide humanitair­e ». Mais au regard de la loi italienne, le jeune Cagnois risquait gros. Le 16 mars dernier, Grazia Pradella avait requis au nom du ministère public 3 ans et 4 mois de prison, ainsi que 50 000€ d’amende. En Italie, pas de jurisprude­nce à l’horizon : cette affaire était une première. Hier, c’est donc avec une fameuse épée de Damoclès que Félix Croft fait son retour au tribunal. «Jeme force à ne pas être inquiet », confie ce militant de gauche, au nouveau look chapeau-barbichett­e façon Ben Harper. Hier encore, des dizaines de citoyens indignés sont venus le soutenir. « Le seul crime de citoyens tels que Félix, c’est une solidarité face à la détresse humaine », glisse Robert Injey, élu PCF à Nice. Avant le délibéré, accusation et défense confronten­t une dernière fois leurs arguments. Le procureur Grazia Pradella rappelle que l’action de Félix Croft constitue un délit au regard du droit italien. Elle invoque « la sécurité de l’État », rappelant les risques d’infiltrati­on djihadiste dans les rangs des migrants. « La sécurité de l’État ? Alors que la police omet de contrôler les documents d’identité de cette famille ? Alors que Vintimille abrite des centaines de migrants non identifiés ? », rétorquent Mes Laura Martinelli et Ersilia Ferrante pour la défense. Et de citer la jurisprude­nce Cédric Herrou à Nice (3 000€ d’amende avec sursis).

Jurisprude­nce ?

Leur plaidoirie a convaincu le tribunal présidé par Donatella Aschero. Aux yeux des juges, avoir transporté ces migrants en état de nécessité ne constituai­t pas un délit. «Une prise de position forte» , estime Laura Martinelli. « Cette décision est une première en Italie. J’espère qu’elle fera jurisprude­nce », renchérit Ersilia Ferrante. Une jurisprude­nce Croft ? « Je l’espère. Mais je parlerais plutôt de jurisprude­nce Ferrante-Martinelli, sourit Félix Croft, louant le travail de ses avocates. Ça prouve qu’on ne peut pas être condamné pour avoir aidé quelqu’un ! C’est un bel exemple d’indépendan­ce de la justice. J’espère que cela va montrer une nouvelle voie dans la façon dont on gère cet afflux migratoire. » Le ministère public pourrait interjeter appel de la décision. Pour l’heure, Félix Croft savoure. En attendant de revenir chercher sa voiture, immobilisé­e depuis l’été dernier, le voilà accueilli en héros dans le bar voisin par son comité de soutien. Certains scandent « Solidarité avec les réfugiés » et « Innocente ! » ,en version italienne, face aux policiers impassible­s.

 ?? (Photo C.C.) ?? Submergé par l’émotion à l’issue de l’audience, Félix Croft n’oublie pas de mettre à l’honneur ses avocates, Laura Martinelli et Ersilia Ferrante.
(Photo C.C.) Submergé par l’émotion à l’issue de l’audience, Félix Croft n’oublie pas de mettre à l’honneur ses avocates, Laura Martinelli et Ersilia Ferrante.

Newspapers in French

Newspapers from France