CHACUN CHERCHE ALYOSHA
Le Russe Andrey Zvyagintsev place la barre très haut, d’entrée de jeu : un sans-faute
Boris (Alexey Rozin) rentre chez lui et demande machinalement à sa femme Zhenya (Maryana Spivak) comment elle va. « Qu’est-ce t’en as à foutre ?, lui répond-elle. Rien », convient-il. Ces deux-là sont en instance de divorce. Quelques heures plus tôt, un autre jeune couple est venu visiter leur appartement, qui est à vendre. Qui aura la garde d’Alyosha, leur gamin de douze ans, qui fait ses devoirs dans sa chambre? Aucun des deux n’en veut. Lui, a déjà mis une autre jeune femme enceinte. Elle, ne voit plus l’heure de s’installer dans le superbe appartement de son nouvel amant, plus âgé qu’elle, mais qui roule en BMW. Alyosha assiste, caché derrière une porte, aux marchandages sur son avenir. « Il n’y a qu’à l’envoyer en pension, ça le préparera au service militaire»,
avance sa mère. Pendant ce temps, les canards glissent en silence sur la rivière gelée du parc que traverse tous les jours Alyosha pour rentrer de l’école. Le surlendemain, le petit garçon a disparu. La police conseille d’attendre avant de s’inquiéter : avec le froid qu’il fait, les fugueurs de son âge rentrent généralement chez eux au bout de quelques jours. Entre les meurtres, les vols et les violences diverses, elle ne dispose de toute façon pas de personnel suffisant pour conduire des recherches sérieuses. C’est une association de bénévoles qui s’occupe de retrouver les enfants disparus. Tardivement rattrapés par la culpabilité (Faute d’amour, s’entend de deux manières : manque et pêché), les deux parents s’associent activement aux recherches. Sans se réconcilier, bien au contraire. Le nouvel amant conduit la voiture pour aller coller des affichettes. La nouvelle compagne téléphone pour savoir quand Boris va se décider à rentrer. Dans cette société hypermatérialiste, il n’y a que les batteries des téléphones mobiles qui chauffent. Tout le reste est glacé. Rigoureusement cadenassé. Après le magistral Léviathan, dans lequel beaucoup voyaient une palme en 2014, Andrey Zvyagintsev continue à dézinguer impitoyablement une société russe refermée sur elle-même et insensible à la douleur du monde. Faute
d’amour (quel beau titre, déjà !) impressionne par sa mise en scène austère autant que par la banale inhumanité de ses personnages. Aucune once d’espoir ne sort de ce drame glaçant, transpercé, dès les premières images, par la musique sinistre d’Arvo Pärt. Incroyablement puissant dans la forme et désespéré sur le fond, le film place d’emblée très haut la barre de la compétition. Et confirme le cinéaste russe de 53 ans parmi les grands auteurs de cinéma contemporain. À l’égal des Haneke, Mungiu et Bilge Ceylan, déjà palmés. Comme les canards du parc, où Alyosha s’est volatilisé... Un présage ?
Premier film en compétition et premier choc du Festival, Faute d’Amour est un drame glaçant qui stigmatise la dureté de la société russe contemporaine...