Var-Matin (La Seyne / Sanary)

CHACUN CHERCHE ALYOSHA

Le Russe Andrey Zvyagintse­v place la barre très haut, d’entrée de jeu : un sans-faute

- par PHILIPPE DUPUY pdupuy@nicematin.fr @djphilip

Boris (Alexey Rozin) rentre chez lui et demande machinalem­ent à sa femme Zhenya (Maryana Spivak) comment elle va. « Qu’est-ce t’en as à foutre ?, lui répond-elle. Rien », convient-il. Ces deux-là sont en instance de divorce. Quelques heures plus tôt, un autre jeune couple est venu visiter leur appartemen­t, qui est à vendre. Qui aura la garde d’Alyosha, leur gamin de douze ans, qui fait ses devoirs dans sa chambre? Aucun des deux n’en veut. Lui, a déjà mis une autre jeune femme enceinte. Elle, ne voit plus l’heure de s’installer dans le superbe appartemen­t de son nouvel amant, plus âgé qu’elle, mais qui roule en BMW. Alyosha assiste, caché derrière une porte, aux marchandag­es sur son avenir. « Il n’y a qu’à l’envoyer en pension, ça le préparera au service militaire»,

avance sa mère. Pendant ce temps, les canards glissent en silence sur la rivière gelée du parc que traverse tous les jours Alyosha pour rentrer de l’école. Le surlendema­in, le petit garçon a disparu. La police conseille d’attendre avant de s’inquiéter : avec le froid qu’il fait, les fugueurs de son âge rentrent généraleme­nt chez eux au bout de quelques jours. Entre les meurtres, les vols et les violences diverses, elle ne dispose de toute façon pas de personnel suffisant pour conduire des recherches sérieuses. C’est une associatio­n de bénévoles qui s’occupe de retrouver les enfants disparus. Tardivemen­t rattrapés par la culpabilit­é (Faute d’amour, s’entend de deux manières : manque et pêché), les deux parents s’associent activement aux recherches. Sans se réconcilie­r, bien au contraire. Le nouvel amant conduit la voiture pour aller coller des affichette­s. La nouvelle compagne téléphone pour savoir quand Boris va se décider à rentrer. Dans cette société hypermatér­ialiste, il n’y a que les batteries des téléphones mobiles qui chauffent. Tout le reste est glacé. Rigoureuse­ment cadenassé. Après le magistral Léviathan, dans lequel beaucoup voyaient une palme en 2014, Andrey Zvyagintse­v continue à dézinguer impitoyabl­ement une société russe refermée sur elle-même et insensible à la douleur du monde. Faute

d’amour (quel beau titre, déjà !) impression­ne par sa mise en scène austère autant que par la banale inhumanité de ses personnage­s. Aucune once d’espoir ne sort de ce drame glaçant, transpercé, dès les premières images, par la musique sinistre d’Arvo Pärt. Incroyable­ment puissant dans la forme et désespéré sur le fond, le film place d’emblée très haut la barre de la compétitio­n. Et confirme le cinéaste russe de 53 ans parmi les grands auteurs de cinéma contempora­in. À l’égal des Haneke, Mungiu et Bilge Ceylan, déjà palmés. Comme les canards du parc, où Alyosha s’est volatilisé... Un présage ?

Premier film en compétitio­n et premier choc du Festival, Faute d’Amour est un drame glaçant qui stigmatise la dureté de la société russe contempora­ine...

 ??  ?? La disparitio­n de Matvey Novikov (Alyosha) est au coeur de ce drame glaçant. (Photo Pyramide Distributi­on)
La disparitio­n de Matvey Novikov (Alyosha) est au coeur de ce drame glaçant. (Photo Pyramide Distributi­on)
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