CARNE Y ARENA Plongée réelle au coeur du cinéma virtuel
Avant son exposition à la Fondation Prada et à travers le monde, le Festival présente le premier programme de réalité virtuelle : un court-métrage de six minutes trente sur les migrants mexicains, signé Alejandro González Iñárritu. Expérience aussi unique
L e futur du cinéma se vit aujourd’hui, à Cannes. Physiquement. Intensément. Pour six minutes trente, où le réel et le virtuel s’affranchissent du grand écran. Pour voir encore plus grand. Avec Carne y Arena, le spectateur devient acteur. On ne regarde plus un film, on le vit ! De tous ses sens, pour la plus intime des séances. L’aventure débute dans un hangar aéroportuaire, loin de l’agitation névralgique de la Croisette. No man’s land, sans tumulte urbain ni paillettes. Sur un immense panneau, un coeur rougeoyant se détache d’un horizon lointain. La partie They à droite séparée de la partie US à gauche par une ligne pointillée. Artère vitale pour frontière. Bienvenue dans un monde parallèle, grâce à la première expérience de réalité virtuelle.
Carne y Arena. La chair et le sable. Car le voyage promet d’être aussi dépaysant qu’émouvant. Parmi les migrants d’Amérique du Sud, chassés vers le Nord par la violence ou la pauvreté. Qui rêvent de traverser le Rio Grande, pour construire une nouvelle vie au symbole du dollar. « Durant ces quatre années durant lesquelles j’ai développé ce projet, j’ai eu la chance de rencontrer et d’interviewer de nombreux réfugiés… Ce qu’ils me racontaient de leur vie continuait à
m’obséder, donc je leur ai proposé de collaborer, explique le réalisateur Alejandro González Iñárritu, dont les Amours chiennes ont séduit la semaine de la critique (Grand Prix) dès sa première incursion à Cannes.
Je souhaitais utiliser la réalité virtuelle pour explorer la condition humaine, tout en m’affranchissant du cadre à l’intérieur duquel on ne peut être que simple observateur, pour prendre possession de la totalité de l’espace... »
« TOUT LE MONDE VOIT LES MÊMES CHOSES, MAIS CHACUN VIT SA PROPRE EXPÉRIENCE »
On ouvre une porte, et nous voilà dans une sorte d’antichambre, entre deux réalités. Prière de se déchausser, nu-pieds… Une seconde porte, et l’on entre dans l’arène. Sur une vaste étendue sableuse. Un masque sur les yeux, un casque sur les oreilles, et l’on bascule ailleurs. Loin, très loin, soudain plongé au coeur du désert, à la nuit tombée. Calme absolu, un vent léger caresse des arbustes à nos pieds. De l’horizon à l’infini, percent soudain des voix. Un groupe d’humains se dirige vers nous, on marche vers eux. Cortège misérable, à la tête duquel un « coyote » (passeur) consulte sa montre. À mes côtés, une dame âgée s’écroule, la cheville trop meurtrie pour avancer. On s’accroupit auprès d’elle. Il y a une femme avec son jeune fils, quelques hommes dépenaillés. Et soudain, le terrible fracas, et des lumières qui déchirent l’obscurité. Au-dessus de notre tête, un hélicoptère. On se retrouve pris dans les faisceaux lumineux des gardesfrontières. Des véhicules tout-terrain foncent droit sur nous. On court, on cherche à se cacher. Les pleurs, les aboiements d’un chien, les ordres hurlés et les armes braquées. L’enfer sur terre. On vit tout ça, avec eux. Quasiment comme eux ! Les policiers finissent par les embarquer. On se retrouve seuls, désertés. Avec un petit cartable ou une chaussure gisant sur le sable, pour seule empreinte existentielle de nos compagnons de marche, tandis que des oiseaux migrateurs traversent le ciel. Le jour se lève, notre masque s’enlève. Retour irréel au réel.
The Revenant, c’est nous aussi. Avec cette incroyable expérience cinéphile pour marque indélébile. Sur ce terrain-là aussi, la Révolution est en marche...