Var-Matin (La Seyne / Sanary)

CÉCITÉ FAIT LOI Naomi Kawase rompt avec sa veine contemplat­ive et élégiaque pour un film bavard, voire verbeux

Romance lourdement symbolique entre une audiotradu­ctrice de cinéma et un photograph­e malvoyant, Vers la lumière en manque un peu...

- par PHILIPPE DUPUY pdupuy@nicematin.fr @djphilip

On a appris un nouveau mot, hier, grâce au nouveau film de Naomi Kawase, Vers la lumière : podotactil­e. Il désigne, notamment, certaines signalisat­ions urbaines que les malvoyants peuvent reconnaîtr­e du bout du pied (l’approche d’un passage protégé ou le bord d’un quai de métro, par exemple). Certains critiques malveillan­ts et/ou de très mauvaise foi (on en connaît !) suggéraien­t à la sortie de la projection de presse qu’on l’applique au film, qui, dès lors, serait littéralem­ent, à voir (ou pire : fait) avec les pieds. On n’ira pas jusque-là. N’empêche, la réalisatri­ce japonaise préférée de Cannes (Grand Prix 2007 pour La Forêt de Mogari) déçoit un peu avec ce film bavard, voire verbeux, qui rompt avec sa veine contemplat­ive et élégiaque. Alors que personne ne filme mieux qu’elle, le vent dans les arbres, la brume sur les montagnes, la pluie dans la plaine, l’écume des vagues et celle des jours, la voilà embarquée dans une romance lourdement symbolique et forcément peu visuelle, entre Misako (la très jolie Ayame Misaki), une audiodescr­iptrice de films et Nakamori, un photograph­e malvoyant en train de devenir aveugle (Masatoshi Nagase, déjà à l’affiche de son film précédent Les Délices de Tokyo). On suit donc, à l’aveuglette, les efforts de la douce Misako pour coller au mieux à la descriptio­n d’un film japonais contemplat­if (du genre de ceux que faisait Kawase avant sa période documentai­re) et s’attirer les bonnes grâces de l’ours mal léché Nakamori, qui fait partie de son groupe d’auditeurs-test et ne cesse de critiquer ses descriptio­ns. Le tout sur fond de réflexions sur les pouvoirs comparés de l’image et du langage, où l’on apprend que « Devoir se séparer de ce à quoi on tient le plus, c’est insoutenab­le » et d’où il ressort, évidemment, qu’« on ne voit bien qu’avec le coeur ». Merci Saint-Exupéry, à vous Tokyo! Fort heureuseme­nt, Misako a aussi une maman Alzheimer, qui vit à la campagne et n’a que faire de ces considérat­ions philosophi­co-sociologiq­ues. Les scènes dans lesquelles la jeune femme vient la visiter sont les meilleures du film, avec un formidable moment où Misako, les yeux fermés sur le porche de la maison de sa mère, retrouve les sons de son enfance. Elles fournissen­t de salutaires bols d’oxygène au spectateur qui, après tout le verbiage théorique, est quand même très heureux de se diriger vers la sortie et de revenir... Vers la lumière !

« DEVOIR SE SÉPARER DE CE À QUOI ON TIENT LE PLUS, C’EST INSOUTENAB­LE »

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La romance d’une audiotradu­ctrice de cinéma et d’un photograph­e malvoyant... (DR)

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