UN TRÈS AUGUSTE RODIN
Jacques Doillon fait son retour en compétition avec son film le plus académique
Avant-dernier film français de la compétition, le Rodin de Jacques Doillon, qui était présenté le jour de sa sortie en salles, a reçu un accueil mitigé...
Cela faisait un bail que Jacques Doillon n’avait plus montré un de ses films à Cannes. La dernière fois, c’était en 2001 pour Un Certain Regard, avec Carrément
à l’ouest. Pour la compétition, il faut même remonter à La Pirate en... 1984 ! Autant dire que les cinéphiles étaient heureux de le retrouver en sélection officielle, cette année, avec son biopic d’Auguste Rodin. Un de ses projets les plus ambitieux depuis longtemps aussi, et qui tombe à (bio)pic, en cette année du centenaire de la mort du sculpteur. Bien sûr, personne n’a oublié le Camille Claudel de Bruno Nuytten, dans lequel Gérard Depardieu incarnait en 1988 un Rodin ogresque et Isabelle Adjani une Camille démente. Doillon en livre l’exact contrepoint : son Rodin avance avec une tranquille majesté, avec un Lindon minéral et une Izïa Higelin d’abord sexy et mutine, puis trahie et jalouse, mais pas jusqu’à la démence. Le film se concentre sur une dizaine d’années de la vie du sculpteur, entre sa première commande d’État (La Porte de l’Enfer), sa liaison avec Camille Claudel et la polémique sur la statue de Balzac, présentée comme son grand oeuvre. Rodin, qu’incarne un Vincent Lindon habité comme jamais (un deuxième prix d’interprétation ne serait pas volé), est décrit comme un artiste sûr de son talent et imperméable à la critique, mais comme un amant faible et lâche lorsqu’il s’agit de s’engager. Malgré son amour sincère pour la belle Camille, il ne quittera jamais Rose Beuret, sa compagne de toujours au physique et à l’intellect pourtant beaucoup moins stimulants. Cette dernière est incarnée par la revenante Séverine Caneele, qui avait disparu des radars depuis son prix d’interprétation pour L’Humanité de Bruno Dumont. Plus que sa double vie sentimentale, Doillon s’attache à filmer l’artiste au travail dans des scènes où Lindon excelle. Avec cette oeuvre patrimoniale, qui se termine assez curieusement sur des images documentaires d’une copie de la statue de Balzac installée de nos jours dans le jardin d’un musée au Japon, le franc-tireur du cinéma français signe certainement son film le plus académique. En cela, il a un peu déçu dans le contexte de la compétition cannoise, où nombre de critiques lui ont fait le reproche de faire du « cinéma de
papa ». On conseillera néanmoins d’aller voir le film en salles, où il est sorti hier, le jour même de sa présentation en compétition, et de le voir pour ce qu’il est : un bel hommage, un peu empesé, à l’un des plus grands artistes français.