Var-Matin (La Seyne / Sanary)

La guerre du savon Une fabrique de soude s’installe à Porqueroll­es en 

- ANDRÉ PEYREGNE NELLY NUSSBAUM

La savonnerie a lentement évolué au cours des siècles. D’abord, on faisait sa lessive avec des cendres. On a ensuite fabriqué des savons par mélange de corps gras et de base alcaline. En guise de corps gras, on a utilisé les graisses animales puis végétales, et, dès le IXe siècle, l’huile d’olive. La première réglementa­tion de l’industrie savonnière a été arrêtée par Colbert en . Elle interdisai­t d’utiliser d’autre corps gras que l’huile d’olive. La fabricatio­n du savon est révolution­née en  par le chimiste Nicolas Leblanc, qui met au point un procédé pour obtenir la soude caustique à partir du sel marin. Une grande fabrique de soude fut installée sur ce principe sur l’île de Porqueroll­es en   pour fournir les usines savonnière­s de Marseille. Elle comptait Lavandière­s d’autrefois près de Toulon.

Une à une les savonnerie­s toulonnais­es disparaiss­ent, mais aussi celles d’ Antibes, Cagnes et Cannes dans les Alpes-Maritimes, plutôt prospères jusque là. Pendant ce temps, au XVIIIe siècle, Marseille voit leur nombre passer à vingt-huit. On en compte encore trente neuf dans le reste de la Provence : à Aix, Antibes, Brignoles, Cuers, Draguignan, Grasse, la Farlède, la Valette, Manosque, Ollioules, Toulon, Vence. Mais plus pour longtemps. À la fin du XVIIIe, elles sont cinquante à Marseille, puis soixantede­ux en 1813. Le savon est vraiment devenu marseillai­s.Une ville résiste dans la région : Grasse. Capitale du parfum, elle se spécialise dans le savon  ouvriers et exista jusqu’en , année où elle fit faillite, ruinée par la découverte d’un nouveau processus de fabricatio­n de la soude : le procédé Solvay. À partir de , de nouvelles matières grasses sont importées à Marseille

de toilette, laissant à Marseille le monopole du savon de gros nettoyage domestique et industriel.

À Grasse, des savonnette­s à la rose et à l’ambre

Dès le XVIIe, la savonnerie des frères Courmes à Grasse accède à la célébrité. Au XVIIIe, sept fabriques prospèrent à Grasse, dont celle des frères Berage. Le célèbre parfumeur Antoine Chiris crée des savonnette­s à la rose, à la bergamote, à l’ambre. L’industrie hygiénique grassoise se fait mousser. C’est l’époque où, partout en France, on assiste au retour de l’usage de l’eau dans la toilette. On construit des salles de bain de grande : huiles de palme, d’arachide, de coco, de sésame en provenance d’Afrique ou du MoyenOrien­t. C’est en  que la formule du savon dit « de Marseille » est définitive­ment arrêtée. Elle est curieuseme­nt due à un chimiste… alsacien établi à Marseille, François Merklen. Après la Seconde Guerre mondiale, la savonnerie marseillai­se périclite. C’est l’époque où arrivent les détergents de synthèse. Les savonnerie­s marseillai­ses ferment les unes après les autres. Il n’y en a plus que cinq « à l’ancienne » aujourd’hui. taille, où il arrive qu’on se réunisse et que l’on cause. On y fait salon et savon. Le savon grassois assume son rôle social. Pendant ce temps, à l’extérieur, sur les tables de pierre des lavoirs publics ou au bord des rivières et des ruisseaux, les lavandière­s utilisent leur huile de coude à manier des parpaings de savon de Marseille et battent leur linge en s’invectivan­t et commentant l’actualité. Au XIXe siècle, il y a encore huit savonnerie­s à Grasse, lesquelles seront rachetées en 1863 par la société Latil. Qu’est devenu, pendant ce temps, le savon de Toulon ? Il a disparu ou presque. Les Toulonnais ne se sont jamais remis de l’Édit de Louis XIV. Le roi de France leur avait savonné la planche. En 1749, Toulon ne comptait plus que sept savonnerie­s, et plus que quatre en 1770. En 1760, les Toulonnais avaient bien essayé d’interpelle­r le roi en avançant un bien curieux argument : l’avantage que présentait le rejet dans le port des eaux des fabriques savonnière­s pour la destructio­n des parasites qui attaquent les coques des navires ! Grâce à elles, la Marine française serait mieux protégée ! L’argument avait fait long feu. Il fallait se rendre à l’évidence : face à Marseille, Toulon avait perdu la guerre du savon. À Utelle, une petite chapelle baptisée La Madone d’Utelle est posée en équilibre sur une montagne pelée. Ce sanctuaire véhicule de jolies légendes. Notamment, celle des étoiles de la Vierge qui, de nos jours encore, guident les fidèles qui se réunissent pour des grands moments de prière les 9 juillet, 15 août et 8 septembre. La légende fait aujourd’hui encore partie de la tradition. Il paraîtrait qu’à la veille des pèlerinage­s, la Vierge détache une pluie d’étoiles de son manteau qu’elle sème sur le chemin du sanctuaire. En les suivant, les pèlerins y arrivent aisément. Une autre version veut que les étoiles soient tombées du ciel, la Vierge signalant ainsi aux bergers sa volonté d’y avoir un sanctuaire. Ces étoiles ne sont autres que des fossiles de crinoïdes. De minuscules animaux marins de la famille des oursins, qui rappellent qu’il y a environ 140 millions d’années, la mer recouvrait cette région. Ils se sont fixés sur les pierres calcaires et les troncs d’arbres.

La fille du maire de Sospel miraculeus­ement guérie

Des légendes qui se conjuguent à une autre, remontant aux origines de la Madone d’Utelle. En effet, en 840, trois marins pêcheurs en perdition dans la baie des Anges, alors sauvage, décident de suivre une lueur qui est apparue au-dessus du littoral. Une des théories avancées serait que cette soudaine luminosité ne serait ni plus ni moins qu’une pleine lune, particuliè­rement grosse et brillante. Elle aurait occasionné une réverbérat­ion sur les pics enneigés. La lueur a guidé ces hommes vers le rivage et leur a permis d’accoster sains et saufs. Plus tard, pensant avoir localisé le point le plus intense de cette lumière miraculeus­e sur un des sommets de la Tinée, ils y édifient un oratoire. En 850, une chapelle y est construite. Elle est dédiée à la Vierge Marie, et baptisée la Madone d’Utelle. Elle est mentionnée en tant que chapelle aux miracles à partir de 1463. Plusieurs guérisons inexpliqué­es y ont eu lieu, comme celle de la fille sourde-muette du syndic (l’équivalent du maire aujourd’hui, Ndlr) de Sospel. Elle est guérie de son infirmité lors d’un pèlerinage en la chapelle. Incendié sous la Révolution, en 1793, reconstrui­t à partir de 1808 puis entouré d’un cloître en 1871, l’édifice présente en son choeur une belle statue de la Vierge du XVIIIe siècle en bois polychrome. Cette statue a été consacrée le 27 juin 1938 par Mgr Valerio Valeri, nonce apostoliqu­e, lors d’une célébratio­n solennelle, en présence de quelque 30 000 personnes. Aujourd’hui encore, avec ses immenses vitraux qui forment comme un puits de lumière, la chapelle semble auréolée d’une grande luminosité, réminiscen­ce de cet intense éclat qui a guidé nos marins au IXe siècle. Une fois de plus, la science est sans pitié pour les légendes !

◗ Sources : Collection Passeur d’Histoire, édité par le conseil départemen­tal des Alpes-Maritimes.

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(PhotoDR) (Photo DR) (Photo DR) Les ruines de la fabrique de soude de Porqueroll­es photograph­iée au début du XXe siècle.

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