Cannes-Torcy : un antisémitisme teinté « d’idéologie nazie »
La partie civile plaide depuis hier, aux assises spéciales de Paris, dans un procès débuté voilà bientôt deux mois. Après les avocats des associations et des victimes, place à l’accusation cet après-midi
Q «uand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté ; je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholiques, je n’ai pas protesté ; je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour protester. » La célèbre citation du pasteur Martin Niemöller, sur la lâcheté des intellectuels allemands face au nazisme, jaillit des plaidoiries de la partie civile. Un appel à une prise de conscience générale, lancé sous le regard impassible des accusés. Ils sont dix-sept à comparaître, vingt en tout. Ils composaient la cellule terroriste Cannes-Torcy. Depuis hier, la partie civile a la parole, dans ce procès débuté voilà bientôt deux mois devant la cour d’assises spéciale de Paris. « Cette affaire est paradoxale. C’est l’une de celles qui a fait le moins de victimes ces dernières années… Et c’est pourtant la plus emblématique et la première à être jugée », remarque l’un des avocats du Crif, Me Ariel Goldman. Le procès Merah suivra en fin d’année. Le tueur au scooter fut une source d’inspiration pour Jérémie Louis-Sidney. Ce fanatique religieux, violent et charismatique, a été abattu par la police le 6 octobre 2012. En l’absence du chef, son fidèle lieutenant Jérémy Bailly et ses disciples répondent d’une série d’actions criminelles : attaque à la grenade contre une épicerie casher à Sarcelles, projet d’assassinat de militaires dans le Var, filière djihadiste syrienne… La plupart sont issus du bassin cannois ; les autres viennent de Seine-et-Marne.
« Parole judéophobe déchaînée »
Hier, les avocats des associations juives se succèdent à la barre pour dénoncer une montée de l’antisémitisme en France, dont cette affaire paraît symptomatique. « Elle s’inscrit dans une tendance : les inhibitions ont sauté, la parole judéophobe se déchaîne », déplore Me Marc Bensimhon, au nom du Bureau national de vigilance contre l’antisémitisme. D’après le BNVCA, plus de 26 000 juifs ont quitté la France depuis 2012. L’année des tueries de Toulouse et Montauban, mais aussi de l’attentat de Sarcelles, principal fait d’armes de la cellule Cannes-Torcy. Me Pascal Markowicz, avocat du Crif et de la chambre de commerce France-Israël, doute que la détention ait ouvert les yeux à tous les accusés. Il assène :
« On va dire que c’est un peu fort… Mais quand on veut tuer un juif ou souhaiter qu’ils « rôtissent en enfer », comme le déclarait un accusés, c’est de l’idéologie nazie ! » Tuer un juif, avocat médiatique et adepte des controverses : tel était l’un des projets de la bande, estime Me Aude Weill-Raynal. Les nom et adresse de Gilles-William Goldanel, auteur du Nouveau Bréviaire de la haine, figurait au bas d’une liste détenue par Jérémy Bailly. L’intéressé
conteste avoir voulu attenter aux jours de l’avocat. « Il est devenu une cible », maintient sa consoeur. Et d’élargir son propos : « Nous sommes tous des mécréants, des kouffars, des victimes potentielles. »
Paris, Nice et Londres
Nous revoilà donc au fameux « Quand ils sont venus chercher… » du pasteur Niemöller. Et Me Goldman entend démontrer qu’au-delà des juifs, cette haine mortifère
affecte toute la société. « C’est vrai, ce sont d’abord des juifs qui ont été visés. Puis le champ des « mécréants » s’est élargi. On a commencé à attaquer des militaires, des policiers, des curés… Puis toute la population. C’est ce qui s’est passé à Paris, à Nice, à Londres. » Dans le cas de Cannes-Torcy, la vigilance des services de renseignement aura enrayé cette montée en puissance. Celle de « petits ou grands délinquants devenus des justiciers de Dieu, instrumentalisés pour justifier leurs actes », assène Me Eric Noual, l’agent judiciaire de l’Etat. Dans la salle, Guillaume Denoix de Saint-Marc écoute attentivement. Le président de l’Association française des victimes du terrorisme (AFVT) salue les vertus de ce procès-fleuve, qui permet de mieux cerner « comment un groupe d’amis en arrive à préparer des attentats. »
Verdict le juin
L’avocat de l’AFVT, de la Fenvac et les autres parties civiles plaident ce matin. Les deux avocats généraux, Sylvie Kachaner et Philippe Courroye, prendront leurs réquisitions cet après-midi et demain. La défense répliquera la semaine prochaine, en attendant le verdict, finalement attendu le 22 juin. Certains accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Et les parties civiles espèrent des peines « exemplaires ». Hier, à l’instant de conclure, Me Noual a averti la cour présidée par Philippe Roux : « Vous êtes des juges antiterroristes. Votre jugement aura une influence sur la paix civile, qu’il est plus que jamais nécessaire de préserver. »