Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Cannes-Torcy : un antisémiti­sme teinté « d’idéologie nazie »

La partie civile plaide depuis hier, aux assises spéciales de Paris, dans un procès débuté voilà bientôt deux mois. Après les avocats des associatio­ns et des victimes, place à l’accusation cet après-midi

- A PARIS, CHRISTOPHE CIRONE ccirone@nicematin.fr

Q «uand ils sont venus chercher les juifs, je n’ai pas protesté ; je n’étais pas juif. Quand ils sont venus chercher les catholique­s, je n’ai pas protesté ; je n’étais pas catholique. Puis ils sont venus me chercher, et il ne restait plus personne pour protester. » La célèbre citation du pasteur Martin Niemöller, sur la lâcheté des intellectu­els allemands face au nazisme, jaillit des plaidoirie­s de la partie civile. Un appel à une prise de conscience générale, lancé sous le regard impassible des accusés. Ils sont dix-sept à comparaîtr­e, vingt en tout. Ils composaien­t la cellule terroriste Cannes-Torcy. Depuis hier, la partie civile a la parole, dans ce procès débuté voilà bientôt deux mois devant la cour d’assises spéciale de Paris. « Cette affaire est paradoxale. C’est l’une de celles qui a fait le moins de victimes ces dernières années… Et c’est pourtant la plus emblématiq­ue et la première à être jugée », remarque l’un des avocats du Crif, Me Ariel Goldman. Le procès Merah suivra en fin d’année. Le tueur au scooter fut une source d’inspiratio­n pour Jérémie Louis-Sidney. Ce fanatique religieux, violent et charismati­que, a été abattu par la police le 6 octobre 2012. En l’absence du chef, son fidèle lieutenant Jérémy Bailly et ses disciples répondent d’une série d’actions criminelle­s : attaque à la grenade contre une épicerie casher à Sarcelles, projet d’assassinat de militaires dans le Var, filière djihadiste syrienne… La plupart sont issus du bassin cannois ; les autres viennent de Seine-et-Marne.

« Parole judéophobe déchaînée »

Hier, les avocats des associatio­ns juives se succèdent à la barre pour dénoncer une montée de l’antisémiti­sme en France, dont cette affaire paraît symptomati­que. « Elle s’inscrit dans une tendance : les inhibition­s ont sauté, la parole judéophobe se déchaîne », déplore Me Marc Bensimhon, au nom du Bureau national de vigilance contre l’antisémiti­sme. D’après le BNVCA, plus de 26 000 juifs ont quitté la France depuis 2012. L’année des tueries de Toulouse et Montauban, mais aussi de l’attentat de Sarcelles, principal fait d’armes de la cellule Cannes-Torcy. Me Pascal Markowicz, avocat du Crif et de la chambre de commerce France-Israël, doute que la détention ait ouvert les yeux à tous les accusés. Il assène :

« On va dire que c’est un peu fort… Mais quand on veut tuer un juif ou souhaiter qu’ils « rôtissent en enfer », comme le déclarait un accusés, c’est de l’idéologie nazie ! » Tuer un juif, avocat médiatique et adepte des controvers­es : tel était l’un des projets de la bande, estime Me Aude Weill-Raynal. Les nom et adresse de Gilles-William Goldanel, auteur du Nouveau Bréviaire de la haine, figurait au bas d’une liste détenue par Jérémy Bailly. L’intéressé

conteste avoir voulu attenter aux jours de l’avocat. « Il est devenu une cible », maintient sa consoeur. Et d’élargir son propos : « Nous sommes tous des mécréants, des kouffars, des victimes potentiell­es. »

Paris, Nice et Londres

Nous revoilà donc au fameux « Quand ils sont venus chercher… » du pasteur Niemöller. Et Me Goldman entend démontrer qu’au-delà des juifs, cette haine mortifère

affecte toute la société. « C’est vrai, ce sont d’abord des juifs qui ont été visés. Puis le champ des « mécréants » s’est élargi. On a commencé à attaquer des militaires, des policiers, des curés… Puis toute la population. C’est ce qui s’est passé à Paris, à Nice, à Londres. » Dans le cas de Cannes-Torcy, la vigilance des services de renseignem­ent aura enrayé cette montée en puissance. Celle de « petits ou grands délinquant­s devenus des justiciers de Dieu, instrument­alisés pour justifier leurs actes », assène Me Eric Noual, l’agent judiciaire de l’Etat. Dans la salle, Guillaume Denoix de Saint-Marc écoute attentivem­ent. Le président de l’Associatio­n française des victimes du terrorisme (AFVT) salue les vertus de ce procès-fleuve, qui permet de mieux cerner « comment un groupe d’amis en arrive à préparer des attentats. »

Verdict le  juin

L’avocat de l’AFVT, de la Fenvac et les autres parties civiles plaident ce matin. Les deux avocats généraux, Sylvie Kachaner et Philippe Courroye, prendront leurs réquisitio­ns cet après-midi et demain. La défense répliquera la semaine prochaine, en attendant le verdict, finalement attendu le 22 juin. Certains accusés encourent la réclusion criminelle à perpétuité. Et les parties civiles espèrent des peines « exemplaire­s ». Hier, à l’instant de conclure, Me Noual a averti la cour présidée par Philippe Roux : « Vous êtes des juges antiterror­istes. Votre jugement aura une influence sur la paix civile, qu’il est plus que jamais nécessaire de préserver. »

 ?? (Photo C. C.) ?? Guillaume Denoix de Saint-Marc, président de l’Associatio­n française des victimes du terrorisme, hier au palais de justice de Paris. Pour lui, les débats ont permis de « voir comment un groupe d’amis en arrive à préparer des attentats ».
(Photo C. C.) Guillaume Denoix de Saint-Marc, président de l’Associatio­n française des victimes du terrorisme, hier au palais de justice de Paris. Pour lui, les débats ont permis de « voir comment un groupe d’amis en arrive à préparer des attentats ».

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