Giacometti : un forçat de l’art chez les bagnards
Cinquante oeuvres réunies. Du jamais vu à Nice. La toute nouvelle galerie Lympia, inaugurée sur le port en début d’année avec les clichés du photo reporter Raph Gatti, accueille Alberto Giacometti. Jusqu’au 15 octobre s’y dévoile L’OEuvre ultime du sculpteur suisse, où figurent de nombreux inédits. Bronzes, plâtres, tableaux, dessins et lithographies confirment une obsession de la représentation humaine chez l’artiste qui, au début des années soixante, se concentre sur deux proches. Sa maîtresse Caroline et son ami photographe Eli Lotar. Dans les études rapides au stylo-bille comme dans les peintures à l’huile, on retrouve le même acharnement à définir les contours et à « sculpter » les volumes à force d’encre bleue ou d’ocres brunes. Giacometti revient sans cesse sur le visage. Il ajoute, complète, sature le papier ou la toile, laissant le corps à l’état d’ébauche : ce qui compte, c’est le portrait. Dans son intériorité, à la façon d’un écorché. Ce qui faisait dire à Lotar, après qu’il eut vu poser un modèle, son impression d’avoir assisté au « combat entre le condamné et son bourreau ». Ce combat trouve tout son sens à Nice. Pour au moins deux raisons. D’abord, Caroline s’y est installée après la mort de Giacometti, occupant un deux-pièces sur la promenade des Anglais jusqu’à sa récente disparition. De son vrai nom Yvonne-Marguerite Poiraudeau, elle ne faisait pas mystère de leur rencontre dans un bar à filles de Montmartre, ayant choisi de «se débrouiller », comme le rappelait pudiquement cette assez jolie brune originaire de Vendée.
Prêt de la Fondation Giacometti de Paris
Ensuite, quelques croquis d’un palmier ou d’une plage soulignent le plaisir que l’artiste avait à séjourner sur la Côte d’Azur, intime des Maeght qui imprimaient ses estampes et d’un autre éditeur, Tériade, dont il avait orné le jardin de la villa Natacha, à Saint-Jean-Cap-Ferrat, d’une Grande femme .Un autre tirage de ce bronze, qui culmine à près de trois mètres, peut être admiré sur la terrasse de la galerie Lympia, vigie hiératique du port de Nice dont le panorama, vu de là, est sublime. La Fondation Giacometti de Paris, qui prête l’intégralité de ces pièces auxquelles s’ajoutent une vingtaine de photos par Annette Giacometti ou Lotar, a pris des garanties. Ce bâtiment massif et idéalement dépouillé, restauré par le Département qui l’a racheté à l’État en 2012, bénéficie de toutes les conditions nécessaires à leur conservation. Climatisation, contrôle de l’hygrométrie, filtres anti-UV… On est très loin du confort relatif avec lequel devaient composer les prisonniers. Avant de se muer en galerie, l’édifice était un bagne où se sont entassés sur 230 m2 jusqu’à 170 condamnés. Unique en raison de la richesse de la collection et de la qualité de sa présentation, cette exposition de L’OEuvre ultime doit inciter à découvrir ce lieu superbement réhabilité. Tout le monde aime Giacometti. Et s’il fallait un dernier argument, le prix d’entrée est dérisoire.
Alberto Giacometti, L’OEuvre ultime. Galerie Lympia. 2 quai Entrecasteaux et 52, boulevard Stalingrad, à Nice, tous les jours jusqu’au 15 octobre, de 10 à 19 h. Entrée : 7 €. Gratuit pour les mineurs. Rens. 04.89.04.53.10.