«Leur douleur est la nôtre, celle de toute une ville»
Christian Estrosi, maire de Nice, évoque cette tragique soirée du 14-Juillet et la préparation de l’hommage national qui se tiendra vendredi en présence du président de la République Un message adressé à l’ennemi”
Moins d’une semaine avant la commémoration de l’attentat du 14 Juillet, rencontre avec le maire de Nice, Christian Estrosi.
Dans toute cette soirée d’horreur, quelles sont les images qui vous ont le plus marqué ?
Elles sont nombreuses. Après l’annonce d’un camion dans la foule et d’un possible attentat par Véronique Borré, ma conseillère sécurité, le deuxième choc c’est lorsque je découvre la scène de guerre. Ce choc est associé à un son. Le silence. Moi qui fréquente depuis ans la promenade des Anglais, je découvre l’illustration de l’expression « silence de mort ». Il y avait un silence de mort. J’ai toujours entendu du bruit sur la Promenade. Pourtant, j’avais devant moi une étendue de cadavres, et le silence. Quelquefois percé par des cris d’horreur déchirants d’un papa ou d’une maman, ou par un membre du GIPN qui hurle « Mains sur la tête ! ».
La mobilisation des secours ?
Heureusement que nous disposions de l’hôpital Pasteur, nouvellement inauguré six mois avant. Ce fut extraordinaire. Dix-neuf blocs opératoires se sont mis en route tout de suite, le personnel est parti de chez lui, et en moins d’une demi-heure, médecins, chirurgiens, infirmiers, brancardiers étaient sur place et deux étages d’imagerie ouverts. Souvent, je suis pris d’effroi. Si on avait dû accueillir cette tragédie à l’ancien hôpital Saint-Roch… Je me suis battu pendant dix ans contre l’État qui trouvait toujours un prétexte pour reculer la livraison du nouvel hôpital. Heureusement qu’il a été opérationnel. Les secours, d’une manière plus générale, ont été exemplaires, ils ont sauvé énormément de vies.
Qu’est-ce que cela a changé en vous depuis un an ?
Je suis différent. J’ai une part d’humanité beaucoup plus forte qu’avant, et une part d’intransigeance encore plus marquée.
Plus intransigeant ?
Je me sens encore plus intransigeant que je ne l’étais avant sur les faiblesses dont font preuve nos gouvernements, qu’ils soient de droite ou de gauche. Je leur en veux à tous encore plus. On a essayé de me caricaturer, de faire de moi quelqu’un de droitier, trop dur, trop sécuritaire. Mais j’avais cette prémonition selon laquelle notre pays devait se doter d’un arsenal beaucoup plus puissant pour faire face à la menace. Cela n’a hélas pas été
suffisant.
Comment avez-vous jugé la réaction des Niçois ?
J’ai mal accepté vos confrères parisiens qui se sont plantés sur la Promenade pour saisir un propos raciste, provocateur. Nous qui connaissons les Niçois, savons que ce soir-là, et les jours suivant, s’est exprimée une communauté de destins très soudée, très liée. Une solidarité incroyable. Dans notre ville grande et petite à la fois, on a tous connu un proche qui avait sa part de drame. Elle devenait alors notre part de drame.
Sentez-vous encore le traumatisme en eux ?
Je sens une double attitude. D’abord le traumatisme, une cicatrice béante en eux, en moi. L’autre attitude, c’est le fait que les Niçois sont et ont toujours été extrêmement fidèles au devoir de mémoire, mais ils demandent à écrire une nouvelle page de la vie.
Vendredi , une journée de commémoration exceptionnelle…
L’État devait un hommage national à Nice, même s’il lui a fallu trois mois pour que la décision soit prise. Il fallait un an de deuil sur la promenade des Anglais. Aucun événement culturel, sportif, festif. Ce rendezvous va être un moment si fort, si violent pour les familles. Il n’y a pas un jour, une heure, une seconde où ils ne continuent à vivre ce drame. Il faut un an pour trouver une organisation qui ne choque pas, qui soit juste, qu’il n’y ait pas de fausse note. En matière d’économie, certains m’en ont voulu de sanctuariser la promenade des Anglais. Il faut soutenir notre activité, notre emploi, notre croissance, mais il faut avoir le courage de dire que le respect des morts, c’est important.
Cette cérémonie a été étroitement préparée avec les familles ?
Totalement. Le dialogue avec les associations, les victimes, les familles, a été de qualité. Il y a eu des moments durs, fermes, de colère, de doute sur la sincérité de ce que nous faisions. Mais petit à petit, la confiance s’est établie. Je n’ai pas la certitude que certains choix ne soient pas interprétés comme de fausses notes. Mais nous nous sommes suffisamment réunis, avons suffisamment échangé, changé de scénario, pour que ce soit proche de leurs attentes. Leur douleur est la nôtre, c’est la douleur de toute une ville.
La présence du Président Macron, un signal fort ?
Il a tenu sa promesse. C’est le moyen pour lui de dire à toutes les victimes du terrorisme, en France comme à l’étranger, combien il les prend avec respect, considération et sérieux. C’est un message également adressé à l’ennemi. La barbarie a frappé un jour de fête nationale. Par le biais du chef de l’État, le message est que la France est debout, Nice est debout. Ce juillet et cette solidarité nationale sont un message pour dire qu’on ne nous privera pas de liberté.
Entendez-vous la colère? Les familles dénoncent l’insuffisance de la sécurité avant l’attentat.
Je la comprends, je la partage, je la ressens. Elle m’a moi-même animé de manière extrêmement violente. Ce dont je suis certain, c’est que cette colère ne pourra pour partie s’apaiser – parce qu’elle ne s’apaisera jamais totalement – que si toute la vérité est faite. Sans le moindre obstacle. Et il y a des moments où on peut avoir le sentiment qu’il y a des obstacles. J’espère que non. Je fais confiance à la justice, aux magistrats. La parole d’un représentant de l’État ne peut être satisfaisante. Ma propre parole ne peut être satisfaisante. Nous ne sommes pas suffisamment crédibles à leurs yeux. La seule chose qui puisse être crédible, c’est que la justice aille jusqu’au bout, pour tout dire.
Une empathie mondiale a entouré notre ville, les réseaux sociaux s’en sont fait l’écho, le tourisme remonte. Nissa relève la tête ?
Tout autour de la planète, il y eu une tristesse profonde, un élan de solidarité inouï qui ont démontré l’amour pour notre ville. Dès novembre et décembre, les courbes de fréquentation ont remonté. L’aéroport a engrangé une fréquentation sans précédent, avec , millions de visiteurs. Les transactions immobilières étaient en augmentation de % l’an dernier. Le carnaval a connu une baisse de fréquentation de %, mais qui le maintient à une moyenne plus élevée que les cinq dernières années. Les hôtels connaissent un taux de remplissage extrêmement important, de nouvelles compagnies aériennes s’installent, dont une ligne avec Shanghai. La magie ne s’est pas éteinte. C’est l’esprit de Nice.
A Nice, une communauté de destins très soudée”