« Toute personne a besoin d’un souvenir cohérent » Retour sur l’actu
Historien de la mémoire, Denis Peschanski, s’intéresse à l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective d’un événement traumatique
Comment le souvenir traumatique des attentats qui ont tristement jalonné ces deux dernières années évolue-t-il dans les mémoires individuelles et la mémoire collective? Comment ces mémoires individuelles se nourrissent-elles de la mémoire collective, et inversement? Ce sont quelques-unes des questions auxquelles tente de répondre l’ambitieux programme «Novembre», porté par le CNRS, l’Inserm et héSam Université, avec la collaboration de nombreux partenaires. Codirigé par l’historien Denis Peschanski et le neuropsychologue Francis Eustache, ce programme de recherche transdisciplinaire est fondé sur le recueil et l’analyse de témoignages de volontaires interrogés à quatre reprises en ans. Rencontre avec Denis Peschanski.
Quelles différences entre mémoire individuelle et collective ?
La mémoire individuelle correspond à ce que vous et moi, avons connu et vécu des attentats, ce qu’on nous a raconté. La mémoire collective, se construit, elle, au fil des années, via des vecteurs comme les journaux télévisés et radiodiffusés, les articles de presse, les réactions sur les réseaux sociaux, les textes et les images des commémorations… Elle est une représentation sélective du passé qui participe à la construction identitaire d’un groupe qui peut être la société française dans son ensemble, ou un groupe plus restreint.
Comment l’une et l’autre s’articulent ?
C’est la question à laquelle on veut répondre. On connaît mal en effet l’articulation entre mémoire individuelle et mémoire collective. Autrement dit, comment se construit notre propre mémoire dans l’interaction avec cette mémoire collective.
La mémoire individuelle peut-elle vivre indépendamment de la mémoire collective ?
Non, dans la mesure où l’on n’est jamais isolé. On se construit des souvenirs toujours dans l’interaction avec les autres et sous influence des courants dominants, sociaux, média tiques… Notre mémoire de l’événement s’imprègne de cette dimension extérieure.
Est-ce à dire que la mémoire individuelle n’existe pas vraiment ?
Il n’y a effectivement pas de mémoire individuelle, au sens où la personne aurait une sorte de souvenir étanche. On ne peut penser individuellement que dans l’interaction avec les autres. Et donc nécessairement avec la mémoire des autres et la mémoire collective influencée, comme je l’ai dit, par les réseaux, sociaux, médiatiques… Soit on est conscient que ça vient d’eux, soit on l’intègre en oubliant que c’est le cas. Il faut comprendre que toute personne a besoin d’un souvenir cohérent. Et il ne peut être que le résultat d’une construction, d’une élaboration comme une négociation entre ce qu’on a vécu, entendu, et ce que les autres disent. Ça participe à l’organisation du souvenir individuel.
Les victimes directes des attentats sont-elles aussi concernées?
Oui, c’est un mécanisme systématique. Même une personne qui a vécu l’événement, lorsqu’elle va raconter l’événement, sera au fur et à mesure influencée par ce qui va lui permettre de compléter son récit. Parce qu’elle ne peut pas rester avec un souvenir partiel, incomplet, qui plus est face à un événement traumatique. Il lui faut quelque chose de stable. Et cette stabilité cette cohérence surtout viendra de ce qu’elle va apprendre à côté.