Var-Matin (La Seyne / Sanary)

Sur les traces de ces saints torturés, tués puis vénérés

Jusqu’au XIIIe siècle, ils ont été nombreux, après Léonce à Fréjus et Honorat aux îles de Lérins, à évangélise­r la région, à force de miracles. La Toussaint est leur fête

- ANDRÉ PEYREGNE

Empoigné par deux soldats, le chevalier romain Pontius fut allongé sur un billot de bois, au haut d’un rocher surplomban­t la vallée du Paillon à Nice. Un troisième soldat, muni d’un sabre, prit son élan et lui trancha le cou. Sa tête roula jusque dans le fleuve. En l’an 257, Pontius, fils d’un sénateur romain, payait ainsi sa conversion au christiani­sme. Plus tard, il fut canonisé sous le nom de saint Pons. Une église existe toujours à Nice, à l’endroit de son martyre. Ce fut l’un des premiers saints qui vécurent dans notre région. Par la suite, il y en eut des dizaines d’autres. Des légendes entourent leurs vies. À vrai dire, la sainte la plus ancienne à avoir foulé notre sol est Marie-Madeleine, compagne de Jésus. Arrivée de Palestine, elle aurait accosté aux Saintes-Maries-dela-Mer en l’an 42 avec son frère saint Lazare – le ressuscité – et avec saint Maximin. Lazare se rendit à Marseille, dont il devint le patron, et Maximin à Aix, puis dans la cité qui porte aujourd’hui son nom dans le Var et dont la basilique conserve ses reliques. Marie-Madeleine, elle, aurait passé la fin de sa vie dans la grotte de la Sainte-Baume, toujours dans le Var. Des rois de France sont venus s’agenouille­r devant cet ermitage creusé à flanc de falaise. Des pèlerins par milliers continuent à le faire. L’évangélisa­tion de la Provence prit du temps. Un de ses acteurs principaux fut saint Léonce, évêque de Fréjus au début du Ve siècle. Son autorité s’étendait à la région entière. Le diocèse de Fréjus fut, avec celui d’Arles, le plus important de Provence à cette époque. L’aura de saint Léonce était si grande que, pour se rapprocher de lui, saint Honorat, qui éprouvait à son égard une vénération sans borne, décida de venir vivre en ermite dans une grotte de l’Estérel. Pendant des siècles, par la suite, cet endroit escarpé fut un lieu de pèlerinage. On peut toujours s’y rendre, en une heure, au-dessus d’Agay. Au début des années 400, Honorat quitta les rochers de l’Estérel pour se rendre dans une des îles de Lérins, au large de Cannes, et y fonder un monastère. L’endroit était infesté de serpents. Selon la légende, Honorat les chassa et les anéantit à coup de crosse. Une immense vague vint balayer les cadavres des reptiles, épargnant Honorat qui s’était perché au haut d’un palmier. Telle est l’origine de la palme figurant sur le blason de Cannes – et, par voie de conséquenc­e, de celle qui récompense les lauréats du Festival du film ! Le calme une fois revenu, Honorat construisi­t son monastère. Plus tard, selon la légende, il aurait reçu une visite de sa soeur Marguerite. Comme il ne pouvait l’héberger dans un monastère d’hommes, il l’invita à aller s’installer dans l’île voisine. C’est ainsi que la deuxième des îles de Lérins prit le nom de Sainte-Marguerite. Quant à la troisième île, nommée Saint-Férréol, elle ne prit son nom que beaucoup plus tard, à la suite du martyre que des pirates sarrasins y firent subir en 730 à ce saint qui appartenai­t au monastère de Saint-Honorat.

Arrivé là où se trouve Mandelieu

Une incroyable quantité de saints est sortie de ce monastère. Parmi eux, au Ve siècle, on trouve saint Patrick qui alla ensuite évangélise­r l’Irlande, ou saint Valérien, qui devint évêque à Nice. On trouve aussi saint Cassien. Après avoir quitté l’île de Saint-Honorat, il mit le pied sur la côte, là où se trouve aujourd’hui Mandelieu, et suivit le cours paisible de la Siagne. Il décida de s’installer en ermite sur l’une des rives ombragées du petit fleuve côtier, où se dressaient les restes d’un autel dédié à Vénus - l’ « ara luci » (« autel de lumière »), qui a donné l’appellatio­n d’« Arluc » à ce quartier. Aujourd’hui, il ne reste qu’une petite chapelle sur la « butte Saint-Cassien ». Son calme divin a volé en éclat à la suite de la constructi­on de l’aéroport de Mandelieu. Après avoir quitté Cannes, Cassien alla fonder à Marseille le monastère de SaintVicto­r. Il fit bien. Ce monastère a répandu, par la suite, son influence sur toute la région. Connaissez-vous saint Hermentair­e ? C’est aussi à Lérins que ce saint fut formé. Il devint, au milieu du Ve siècle, le premier évêque d’Antibes. Les habitants d’une cité varoise vinrent le chercher pour les aider à se débarrasse­r d’un dragon nommé Drac qui les terrorisai­t. Hermentair­e arriva et, ouvrant ses bras, arrêta le monstre et l’acheva d’un coup de lance. En souvenir du dragon Drac, la cité s’est appelée Draguignan.

Égorgé à Antibes

Les saints de notre région ne furent pas seulement confrontés aux dragons et aux reptiles, mais aussi aux hommes. C’est ainsi qu’au milieu du Ve siècle, les Wisigoths, peuplade germanique venue jusque dans les régions du sud, ravagèrent la Provence. Arrivés à Fréjus, ils décapitère­nt saint Auxile, qui avait pris la succession de saint Léonce. Son corps fut enterré aux abords du village de Callas, puis oublié pendant des siècles. Lorsqu’en 1601 un jeune sourd-muet venu sur ce lieu recouvra miraculeus­ement l’ouïe et la parole, l’évêque de Fréjus diligenta une enquête. On retrouva et déterra des ossements : c’était ceux de saint Auxile. Une chapelle fut construite en ce lieu. Elle existe toujours.

Continuant leurs massacres, les Wisigoths arrivèrent à Antibes, égorgèrent Valère, le successeur de saint Hermentair­e. Puis, se dirigeant vers Vence, ils trouvèrent sur leur chemin, en l’an 451, saint Véran, les bras écartés. Là, miraculeus­ement, ils décidèrent d’arrêter leurs massacres. Saint Véran, qui avait réussi à convertir leur chef au catholicis­me, fut nommé évêque de Vence. Ce ne fut pas le seul évêque de cette cité à accéder au titre de saint, puisque quelque six siècles après, arriva saint Lambert. Né à Bauduen, sur les rives varoises du Verdon, Lambert, orphelin, avait été recueilli par les moines de Lérins à l’âge de 12 ans. Ils firent son éducation. Son acharnemen­t à défendre la cause des serfs contre les maltraitan­ces des seigneurs et son sens de la justice connu de toute la région le conduisire­nt à la béatificat­ion. Il régna quarante ans sur la cathédrale de Vence. Les conversion­s au catholicis­me des soldats wisigoths, entreprise­s par saint Véran, continuère­nt. Au VIe siècle, un autre saint, saint Cyprien, évêque de Toulon, convertit l’un d’eux. Celui-ci, par la suite, accéda à la sainteté, donnant son nom à une presqu’île : Saint-Mandrier. De saint en saint, la vie religieuse suivait son cours. Leur nombre grandissai­t de siècle en siècle. Notre région était un vrai berceau de la sainteté. Mais cela s’arrêta au XIIIe siècle. À cette époque, la désignatio­n des saints ne fut plus confiée aux simples évêques locaux mais au seul pape - et cela à l’issue d’un « procès en béatificat­ion » qui pouvait durer plusieurs années. Depuis ce jour, le nombre d’élus diminua considérab­lement. Parmi ces élus, le pape Jean XXII désigna, en 1317, un saint né à Brignoles en 1274, mort également à Brignoles à l’âge de 23 ans. Il s’appelait Louis d’Anjou, car son père, comte de Provence, portait le titre de Charles d’Anjou. Il mena une vie de charité et de miracles. On lui attribua des guérisons inexpliqué­es. On célèbre cette année les sept cents ans de sa canonisati­on.

Les Arcs : des yeux intacts après la mort

Une autre sainte de notre région accumula les guérisons miraculeus­es. Ce fut sainte Roseline, née aux Arcs en 1263, fille du marquis Arnaud de Villeneuve – appartenan­t à cette vieille famille noble provençale, dont beaucoup étaient à la cour du comte de Provence. Dès son enfance, elle distribuai­t le pain de la famille aux pauvres. Agacé par les attroupeme­nts de miséreux qui se massaient devant son château, son père interdit à sa fille de poursuivre ses actes de charité. Elle désobéit. «Que caches-tu dans le pli ta

robe, lui demanda un jour son père, courroucé ? - Des fleurs, répondit-elle

au hasard ! La légende prétend qu’alors, déployant sa robe, les boules de pain s’étaient miraculeus­ement transformé­es en roses. Autre miracle : son frère Hélian, prisonnier dans l’île de Rhodes, au large de la Grèce, l’aurait vue en songe un an après sa mort. À cet instant, ses chaînes se seraient défaites, il aurait pu s’évader. Roseline mourut en 1329 après avoir été prieure du monastère des Arcs. Son corps, exhumé cinq ans après sa mort, fut retrouvé intact, les yeux semblant vivants. En 1660, Louis XIV envoya son médecin personnel pour aller constater sur place le miracle des yeux de la sainte. Lorsqu’on ouvrit le tombeau, on sentit, dit-on, un parfum de roses. Le corps de sainte Roseline est toujours visible dans la chapelle qui porte son nom.

 ??  ??
 ?? (Photos DR) ?? Le martyre de saint
Pons, tableau du peintre niçois Joseph Castel. 5 L’abbaye de Lérins fut construite sur une île au large de Cannes. 3 Le site de la Sainte-Baume : des milliers de pèlerins convergent là où MarieMadel­eine aurait passé la fin de sa...
(Photos DR) Le martyre de saint Pons, tableau du peintre niçois Joseph Castel. 5 L’abbaye de Lérins fut construite sur une île au large de Cannes. 3 Le site de la Sainte-Baume : des milliers de pèlerins convergent là où MarieMadel­eine aurait passé la fin de sa...
 ??  ??
 ??  ??
 ?? (Photo DR) ?? La cathédrale de Vence, où régnèrent saint Véran et saint Lambert.
(Photo DR) La cathédrale de Vence, où régnèrent saint Véran et saint Lambert.
 ?? (Photo DR) ?? Saint Louis d’Anjou, né à Brignoles, canonisé il y a  ans.
(Photo DR) Saint Louis d’Anjou, né à Brignoles, canonisé il y a  ans.

Newspapers in French

Newspapers from France