Laisse ton téléphone dehors
On ne peut pas dire que le ministre ait pris les parents et les enfants en traitre : l’interdiction des portables dans les écoles et les collèges était une promesse de campagne d’Emmanuel Macron. Réitérée par Jean-Michel Blanquer lors de la dernière rentrée scolaire. Mais nous sommes en France où tout commence par des débats, et l’annonce par le ministre de l’Education que cette mesure serait appliquée dès septembre a relancé une de ces polémiques qui vous font perdre votre latin. Car enfin, cela fait des années qu’on entend les profs se plaindre de l’invasion des smartphones à l’école et de la difficulté de faire la classe à des enfants et des ados qui passent plusieurs heures par jours les yeux collés à un écran. Mais que le gouvernement décide de sanctuariser l’enceinte scolaire, et voilà que surgissent mille objections. On nous dit, en vrac, que ça ne sert à rien puisque les portables sont déjà prohibés en classe. Que l’interdiction poserait des problèmes « insolubles » : comment feraient les parents qui ont besoin de joindre leur petit ? Où ranger les appareils ? Sous la surveillance de qui ? Et que faire si les enfants les planquent, puisqu’on n’a ni le droit de les fouiller, ni de confisquer les portables ? Etc. Eh bien, qu’on nous pardonne, mais tout ça, ce sont des arguments à la gomme. Comme si on disait que ça ne sert à rien de limiter la vitesse puisqu’on ne peut pas mettre un gendarme dans chaque voiture. Oublions les faux débats et posons la seule question qui vaille : faut-il protéger les enfants et le système pédagogique fondé sur la relation enseignant-enseigné contre l’invasion des objets high tech ? Car rappelons-le, ces bijoux techno qu’on appelle par habitude « téléphones » ne servent pas à téléphoner – ou alors, subsidiairement. Tous les parents d’ados ont pu faire le test : quand on appelle, on tombe fois sur sur le répondeur. Non, un smartphone, c’est à la fois une messagerie, un appareil photo, un réservoir inépuisable de vidéos « trop drôles », de musiques « trop cool » et de jeux « trop fun », un ordinateur qui sait tout sur tout, une calculatrice, un correcteur orthographique, j’en passe, et surtout, pour les enfants et les ados, un nodal servant à se connecter avec ses copains sur Facebook, Snapchat, ou Instagram. Autant d’activités plus excitantes que les problèmes de robinets. Mais dont l’abus – diverses études le démontrent – n’est pas sans risque : confusion, troubles de l’attention, voire addictions (c’est si vrai que les dirigeants d’Apple, Twitter et cie veillent à limiter l’usage des nouvelles technologies par leurs enfants : chez Steve Jobs, pas de smartphone avant l’âge de ans !). C’est pourquoi il est important que le temps scolaire offre une parenthèse mettant les enfants à l’abri des sollicitations parasites. Il ne s’agit pas seulement ici de réussite scolaire. La fulgurante propagation du smartphone signe l’avènement d’une rupture historique, la révolution numérique, dont nous n’avons pas fini de mesurer les effets. La question est : comment domestiquer les vertigineuses potentialités des nouveaux outils informatiques, de façon que nos enfants, ces mutants, en soient les maîtres et non les esclaves ? La réponse est : en développant l’aptitude à organiser sa pensée ; en cultivant les irremplaçables capacités cognitives que sont la mémoire et le sens critique. Cela s’appelle l’éducation. Pourquoi faut-il bannir le portable à l’école ? Pas seulement parce qu’il perturbe les cours, gène la concentration, tue cette activité essentielle qu’est le jeu collectif à la récré, ou parce que son prix engendre des discriminations et des jalousies – autant de raisons d’ailleurs très valables –, mais parce que l’école reste depuis ans le lieu par excellence où se transmet, de maître à élève, le goût d’appendre à apprendre.
« C’est pourquoi il est important que le temps scolaire offre une parenthèse mettant les enfants à l’abri des sollicitations parasites. »