Paul Page, méconnu et pourtant incontournable
La Maison du patrimoine de La Seyne consacre dès vendredi une exposition à cet architecte aux influences orientalistes, à qui l’on doit de nombreux de bâtiments emblématiques
Si les descendants de Paul Page pouvaient percevoir quelques centimes pour chaque photo ou carte postale ornée d’un bâtiment réalisé par leur aïeul, ils seraient probablement multimillionnaires. De l’église de Sanary, à l’institut Pacha dans la baie de Tamaris en passant par l’imposant immeuble Le Chantilly qui domine la place Puget de Toulon, les réalisations de l’architecte font partie des « musts » du patrimoine bâti dans la région. Paradoxalement, l’homme derrière ces bâtiments est aussi discret que ses réalisations sont devenues iconiques. À tel point que lorsque la Maison du patrimoine a décidé de consacrer une exposition à Page, la tâche n’a pas été évidente pour reconstituer sa biographie.
Orientaliste sans jamais avoir vu l’Orient
Né en Suisse en 1863, Paul Page arrive en France dans les années 1880. Il s’installe du côté de SaintRaphaël, où il apprend le métier d’architecte aux côtés de Pierre Aublé. C’est lui qui signe la transformation architecturale du village est-varois en station balnéaire capable d’accueillir (et de divertir) des milliers de vacanciers. Au-delà des bases classiques du métier, Aublé transmet à Paul Page son amour pour l’Orient, son style, ses lignes. Il faut dire qu’à cette époque, le genre est particulièrement en vogue dans une France coloniale, avide d’expéditions et de découvertes en tout genre. Sans jamais avoir voyagé dans ces contrées lointaines, Paul Page tombe à son tour amoureux de ces lignes enchevêtrées, de ces couleurs vives et des silhouettes arrondies. À Pierrefeu, où il s’installe, il réalise une « koubba », s’inspirant de la physionomie des tombeaux des saints musulmans. Cet ouvrage singulier lui servira de carte de visite.
Rencontre providentielle
Car si à Saint-Raphaël Aublé n’avait pas pu exprimer largement ses penchants orientalistes, faute de commandes appropriées, Paul Page fait lui une rencontre providentielle, en la personne de Michel Pacha. Ce Sanaryen au destin romanesque a fait fortune en bâtissant les phares et balises de l’Empire ottoman. Revenu sur ses terres, il rêve de transformer la corniche de Tamaris en petit Bosphore. Il donne carte blanche à Page pour décorer la façade de l’Institut de biologie marine que Pacha a fait bâtir sur la corniche. Les résultats sont spectaculaires et suscitent toujours l’admiration des gens de passage. À côté de ces réalisations à l’orientale, de nombreux bâtiments sont de facture plus classique. C’est le cas de l’église de Sanary (financée par Michel Pacha sur ses deniers personnels), de celle de La Seyne ou encore du grand bâtiment de San Salvadour, à Hyères, où son travail reprend les codes des « grands hôtels ». Le centre-ville toulonnais est également marqué par la « patte » Paul Page avec plusieurs réalisations, même s’il n’est pas toujours simple de les identifier. « Beaucoup de bâtiments sont attribués à Paul Page mais ne sont pas forcément de lui. Son nom apparaît souvent parce qu’il était architecte-conseil pour le Département », décrypte Béatrice Tisserand, responsable des collections à la Maison du patrimoine. Son conseil pour identifier : chercher sa signature, à même la pierre, que l’on retrouve sur quasiment toutes ses réalisations.