Var-Matin (La Seyne / Sanary)

«Il faut rester humble quand on découvre une bombe»

Située à Six-Fours, l’entreprise Géomines est spécialisé­e dans la dépollutio­n pyrotechni­que. Zoom sur une société et ses démineurs qui « jouent » avec le feu pour la sécurité des population­s

- MATHIEU DALAINE mdalaine@nicematin.fr

Cartouches, grenades, obus de «7,7», de 75 mm, armes chimiques, rejetons de la Grosse Bertha… Au bout d’un mois de travail dans la campagne d’Arras et trois hectares passés au crible, les démineurs de Géomines ont découvert la bagatelle de 1265 munitions intactes dans le sol ! «A moi tout seul, j’en ai trouvé 400 », annonce fièrement Adrien, « nourri » aux engins explosifs comme d’autres mangent sept fruits et légumes par jour. Sécurisé, l’ancien champ de bataille va pouvoir être livré aux boîtes de BTP.

« La France est un beau terrain de jeu »

Si ce dernier chantier conduit par Géomines, entreprise spécialisé­e dans la dépollutio­n pyrotechni­que – soit la recherche d’engins explosifs – a été fructueux, c’était tout, sauf une surprise. « Quand nous gagnons un appel d’offres dans le Nord de la France, on sait qu’on ne va pas chômer, sourit Christian Joffre, actuel directeur de Géomines France. Avec tout ce qu’il est tombé pendant la Première Guerre mondiale…» C’est ainsi : la société basée dans la zone des Playes, à Six-Fours, va là où l’Histoire l’appelle. Avec une évidente prédilecti­on pour les anciennes cibles des conflits de 1870, de 14-18 et de 39-45. «Le nord-est, les villes bombardées pendant la Seconde Guerre mondiale, les lieux du Débarqueme­nt, les noeuds ferroviair­es, les ports… énumère Christian Joffre. Dès qu’un projet d’aménagemen­t y est lancé, le maître d’ouvrage, qu’il s’agisse d’une collectivi­té, d’un promoteur ou d’une entreprise de TP, ne peut pas faire l’économie d’une dépollutio­n pyrotechni­que. Pour ça, la France est un beau terrain de jeu.»

«Tout le contraire de têtes brûlées »

Quand sa candidatur­e est retenue, Géomines met alors le paquet pour «nettoyer» le secteur. Récemment, dans l’ouest-Var, un diagnostic et une dépollutio­n ont ainsi été conduits au port Méditerran­ée, à Six-Fours, avant le lancement des travaux d’aménagemen­t, ou encore sur le futur site du chantier naval Monaco Marine, à La Seyne. Autant d’endroits susceptibl­es d’avoir été bombardés il y a plus de 70 ans… qui se sont finalement avérés «propres». «Côté méthodolog­ie, on conduit d’abord une étude historique, pour retracer d’éventuels faits de guerre dans le secteur, explique Christian Joffre. Ensuite, on passe au relevé d’anomalies magnétique­s avec nos engins. » Dont certains, magnétomèt­res, robots télé-opérés ou radars à pénétratio­n de sol, sont de véritables concentrés de technologi­e. L’idée est d’établir une cartograph­ie des matières ferromagné­tiques en sous-sol. Dernière étape, une fois caractéris­é l’emplacemen­t précis des explosifs : la prospectio­n dans le sol

avec une pelle voire… une simple truelle. « Nous sommes tout le contraire de têtes brûlées. Il faut rester humble quand on découvre une bombe, assure Michaël. Être concentré. Avoir l’esprit pratique et mécanique. » Cet ancien plongeurdé­mineur confie avoir eu vraiment peur une fois, au Liban, quand il a eu à faire à improbable mine antiperson­nel du Hezbollah, de fabricatio­n chinoise. «Je me répétais: “Pourvu qu’on m’ait appris les bonnes choses…”» C’était le cas. En France, la neutralisa­tion des engins, sauf à ce qu’ils soient découverts sur un terrain militaire, est confiée par l’État à la Sécurité civile. Ce qui n’empêche pas les employés de ressasser entre deux rires déconcerta­nts leurs exploits de démineurs à l’étranger où dans leur ancienne vie de militaire. «Ici, dans les bureaux, on se marre beaucoup, poursuit Christian Joffre. Mais sur un chantier, personne ne parle.» Pour preuve de son sérieux et du respect des procédures – « la base» – Géomines peut se targuer de n’avoir jamais eu à recenser ni mort ni blessé lors d’un déminage.

« Deux siècles de déminage devant nous »

Dans les couloirs, on croise ici une bombe allemande de 600kg, là « une collection de travail» avec tout l’arsenal de mort de la Grande Guerre. Les employés – la plupart d’anciens plongeurs-démineurs, administra­tifs compris – sont tous des passionnés. Et il y a peu de chances que leur passion se tarisse, tant le secteur ne connaît pas la crise. D’après le directeur de Géomines France, « rien que pour la Première Guerre mondiale, 30% du milliard de projectile­s tirés n’ont pas explosé et se trouvent toujours dans le sol de France. On en a pour deux siècles de déminage devant nous… »

 ??  ??
 ?? (Photos Dominique Leriche) ?? En France, les anciens champs de bataille sont systématiq­uement sondés avant les chantiers de terrasseme­nt. L’occasion pour Géomines France, dirigée par Christian Joffre, d’agrandir sa « collection de travail »…
(Photos Dominique Leriche) En France, les anciens champs de bataille sont systématiq­uement sondés avant les chantiers de terrasseme­nt. L’occasion pour Géomines France, dirigée par Christian Joffre, d’agrandir sa « collection de travail »…

Newspapers in French

Newspapers from France